Page 118 - ROLAND-GLORIA-DIANE-ET-MOI_Neat
P. 118
J’œuvrais avec rage, trop occupée à réduire en miettes les dernières scories de cette vie à
deux, une vie qui, depuis plusieurs mois, m’avait si souvent donné l'impression, et finalement
la certitude, d’avoir perdu mon âme, perdu mon temps et gâché mon avenir en ayant fait le
mauvais choix, m’étant trompée sur toute la ligne.
Fabien revint à la charge, accompagné de quelques hommes du village. Acculée dans mes
derniers retranchements, je regardai ce troupeau de lâches regroupés sur le seuil de la porte
d'entrée. Sept ou huit intrus contre une seule femme en furie ! Un couteau de cuisine à la
main, je les affrontai. D'une voix sûre et sans équivoque, je leur lançai ces quelques mots :
« Le premier qui s’avance, je le plante et je ne rigole pas ! » Au point où j’en étais arrivée,
j’aurais certainement tenu parole… Effarés devant cette femme hors d’elle, piteux,
désarçonnés, ils s'en furent.
L'accomplissement de cette œuvre dévastatrice marquait le point final de ma vie avec Fabien.
Sûre que la nouvelle élue ne s’installerait pas dans mes meubles, mon passé méthodiquement
réduit en miettes, maintenant sans avenir, vers quels horizons me dirigerais-je ?
Le seul élément existant qui émergeait de ce chaos laissé derrière moi était pour l'heure la
rassurante mais perverse amitié de Renée-Claude, viatique qui me permettrait de surnager
dans ce qui me restait d'attachement matériel et administratif à Fabien. Cette femme entichée
de moi jusqu’au non-sens, prête à combler mes désirs les plus fous, était bien décidée, pour
me récupérer, à m’accueillir, à m’épauler quoi qu’il arrive et surtout contre Fabien qu’elle
n’aimait pas et dont elle était jalouse.
Le surlendemain de la destruction massive, je retournai sur le lieu du carnage. J’y trouvai
Fabien pensif, hagard, défait et confus, faisant l’inventaire du désastre. Ma décision était
prise. Je l’apostrophai et un dialogue lapidaire s'ensuivit avant que je lui lance :
« Je te rends ta liberté, je pars.
- Où vas-tu aller maintenant que tu n’as plus rien ? »
L’envol
Sans prendre la peine de répondre, je fourrai ce qui restait de mes effets personnels dans des
sacs poubelle. Je n’avais malgré tout pas perdu le nord. Je fis signer à celui qui était encore
mon époux un document par lequel il s’engageait à vendre Le Loup blanc durant mon
absence. Sans rechigner, il s’exécuta. Puis, sans trop y croire, je lui demandai l'une de ses
cartes de crédit. A mon grand étonnement, il me la remit sans discuter.
Le papier concernant Le Loup blanc et la carte de crédit en poche, je lui lançai un dernier
salut, glacial. Le cœur en miettes, prête à succomber, je tournai le dos à ce que j’avais imaginé
devoir être le lieu de mes plus belles amours, de mes rêves les plus merveilleux, de mes
espoirs les plus fous, les plus vibrants, ceux que je pensais vivre jusqu'à la fin de mes jours.
Au volant de ma voiture, je m'en retournai chez Renée-Claude.
Le lendemain, allez savoir pourquoi, je décidai d'appeler Harry que je n'avais pas revu ni
entendu depuis fort longtemps. Le beau danseur chorégraphe n'avait jamais complètement
disparu de mes pensées, pas plus d'ailleurs que Gilbert, Georges, ainsi que tant d'autres figures
de ce récit, acteurs importants de mon parcours qui ont investi à jamais mon monde intérieur
comme mon cœur.
Il fut décidé que Renée-Claude m’accompagnerait à Lyon. Ensuite, je rejoindrais à
Amsterdam mon mentor, qui avait accepté de me recevoir. Il était convenu qu'Harry
m’attendrait à l'aéroport.
Depuis notre houleuse séparation, sept ans auparavant, Harry s’était reconverti en un
honorable chef-comptable à l’Hôtel Hilton d’Amsterdam. Il s’était offert - peut-être avec mes
sous - un petit appartement cossu dans le centre-ville. Nous nous retrouvâmes comme si le
temps n’avait pas bougé, comme si nous nous étions quittés la veille, les sentiments amoureux
118