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J’œuvrais  avec  rage, trop occupée  à réduire en  miettes  les dernières scories  de  cette vie  à
               deux, une vie qui, depuis plusieurs mois, m’avait si souvent donné l'impression, et finalement
               la certitude, d’avoir perdu mon âme, perdu mon temps et gâché mon avenir en ayant fait le
               mauvais choix, m’étant trompée sur toute la ligne.
               Fabien revint à la charge, accompagné de quelques hommes du village. Acculée dans mes
               derniers retranchements, je regardai ce troupeau de lâches regroupés sur le seuil de la porte
               d'entrée. Sept  ou  huit  intrus contre une  seule femme en furie ! Un couteau de cuisine à la
               main, je les affrontai. D'une voix sûre et sans équivoque, je leur lançai ces quelques mots :
               « Le premier qui s’avance, je le plante et je ne rigole pas ! » Au point où j’en étais arrivée,
               j’aurais  certainement  tenu  parole…  Effarés  devant  cette  femme  hors  d’elle,  piteux,
               désarçonnés, ils s'en furent.
               L'accomplissement de cette œuvre dévastatrice marquait le point final de ma vie avec Fabien.
               Sûre que la nouvelle élue ne s’installerait pas dans mes meubles, mon passé méthodiquement
               réduit en miettes, maintenant sans avenir, vers quels horizons me dirigerais-je ?
               Le seul élément existant qui émergeait de ce chaos laissé derrière moi était pour l'heure la
               rassurante  mais  perverse  amitié  de  Renée-Claude,  viatique  qui  me  permettrait  de  surnager
               dans ce qui me restait d'attachement matériel et administratif à Fabien. Cette femme entichée
               de moi jusqu’au non-sens, prête à combler mes désirs les plus fous, était bien décidée, pour
               me récupérer, à m’accueillir, à m’épauler quoi qu’il arrive et surtout contre Fabien qu’elle
               n’aimait pas et dont elle était jalouse.
               Le surlendemain de  la destruction massive, je retournai  sur le lieu du carnage. J’y trouvai
               Fabien  pensif,  hagard,  défait  et  confus,  faisant  l’inventaire  du  désastre.  Ma  décision  était
               prise. Je l’apostrophai et un dialogue lapidaire s'ensuivit avant que je lui lance :
                « Je te rends ta liberté, je pars.
                - Où vas-tu aller maintenant que tu n’as plus rien ? »


               L’envol

               Sans prendre la peine de répondre, je fourrai ce qui restait de mes effets personnels dans des
               sacs poubelle. Je n’avais malgré tout pas perdu le nord. Je fis signer à celui qui était encore
               mon  époux  un  document  par  lequel  il  s’engageait  à  vendre  Le  Loup  blanc  durant  mon
               absence. Sans rechigner, il s’exécuta. Puis, sans trop y croire, je lui demandai l'une de ses
               cartes de crédit. A mon grand étonnement, il me la remit sans discuter.
               Le papier concernant Le Loup blanc et la carte de crédit en poche, je lui lançai un dernier
               salut, glacial. Le cœur en miettes, prête à succomber, je tournai le dos à ce que j’avais imaginé
               devoir  être  le  lieu  de  mes  plus  belles  amours,  de  mes  rêves  les  plus  merveilleux,  de  mes
               espoirs les plus fous, les plus vibrants, ceux que je pensais vivre jusqu'à la fin de mes jours.
               Au volant de ma voiture, je m'en retournai chez Renée-Claude.
               Le  lendemain,  allez  savoir  pourquoi,  je  décidai  d'appeler  Harry  que  je  n'avais  pas  revu  ni
               entendu  depuis  fort  longtemps.  Le  beau  danseur  chorégraphe  n'avait  jamais  complètement
               disparu de mes pensées, pas plus d'ailleurs que Gilbert, Georges, ainsi que tant d'autres figures
               de ce récit, acteurs importants de mon parcours qui ont investi à jamais mon monde intérieur
               comme mon cœur.
               Il  fut  décidé  que  Renée-Claude  m’accompagnerait  à  Lyon.  Ensuite,  je  rejoindrais  à
               Amsterdam  mon  mentor,  qui  avait  accepté  de  me  recevoir.  Il  était  convenu  qu'Harry
               m’attendrait à l'aéroport.
               Depuis  notre  houleuse  séparation,  sept  ans  auparavant,  Harry  s’était  reconverti  en  un
               honorable chef-comptable à l’Hôtel Hilton d’Amsterdam. Il s’était offert - peut-être avec mes
               sous - un petit appartement cossu dans le centre-ville. Nous nous retrouvâmes comme si le
               temps n’avait pas bougé, comme si nous nous étions quittés la veille, les sentiments amoureux

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