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Mon parcours de vie m’avait appris que les drames, invisibles et latents, se dissimulent bien
souvent derrière des apparences prometteuses… Combien de fois un paradis s’était-il
ébauché, avec de grandes promesses à la clé ? Combien de fois, à peine y avais-je goûté,
avait-il fallu en faire le deuil ? La fébrilité des préparatifs des noces n’était exempte ni de
questionnements ni d’appréhensions.
Les longues discussions entre Fabien et moi sur le principe comme sur les modalités de notre
mariage prirent doucement forme. Au printemps 1979, nous convolerions sur le territoire
helvétique, dans ma commune d’origine, Saint-La-Légier Chiésaz, commune suisse du canton
de Vaud, située dans le district de la Riviera-Pays-d’En Haut, au-dessus de Vevey, sur la
montée des Pléiades qui offrent à la vue un magnifique panorama à la fois sur le lac Léman et
sur les Alpes proches, en particulier vers les Dents du Midi et jusqu'au massif du Mont Blanc.
D’un commun accord, il ne serait pas question de mariage religieux, d’orgues, de robe
blanche, de demoiselles d’honneur, de riz jeté sur les nouveaux mariés ni de dragées roses et
blanches. Une simple cérémonie civile, en petit comité, exempte de décorum, scellerait notre
union. Puis ce fut la prise de contact avec la commune de mes origines et toutes les autres
démarches administratives, ainsi que le choix du restaurant. Celui des invités fut vite fait. Ne
viendraient à ces agapes ni les parents de Fabien soi-disant mis au courant par leur fils,
absence qui n’étonnerait personne, ni mes sœurs ni nos amis non plus. En revanche, ma mère
serait de la partie, accompagnée de son mari, et nous aurions un couple de proches pour
témoins.
Le 21 avril 1979, le jour des noces arriva enfin. Pour cette occasion particulière, j’avais choisi
un ensemble jupe et chemisier classique, plutôt sobre, bleu et blanc, agrémenté de quelques
bijoux. Le temps, clément, permettait d’apprécier l’exubérance des arbres en fleurs et ces
innombrables nuances de vert tendre, éphémères, que l’été se chargerait, en peu de temps,
d’harmoniser.
Avec celui qui allait devenir mon mari, je me mis en route vers Nyon pour y chercher ma
mère et mon beau-père. Puis nous empruntâmes la route du lac, un parcours de 70,1 km pour
rejoindre Montreux. Ce fut l’occasion d’apprécier le trajet qui, sur une grande partie, suit les
bords du Lac Léman et traverse différentes régions viticoles. Les magnifiques vignobles de
Lavaux surplombent le lac, dont la réverbération profite à la proverbiale qualité des vins de
ces régions.
En regardant défiler ce paysage qui a inspiré tant de peintres, je songeais à tout ce dont ma vie
avait été faite, à mon destin maléfique, chargé de sortilèges : il semblait enfin vouloir ne
m’accorder que du bon, et j’étais presque heureuse.
A Montreux, après le déjeuner organisé dans un restaurant au bord du lac, nous nous
octroyâmes une balade sur les quais. Cette journée qui aurait dû être extraordinaire tout à
coup me frustra car je réalisai que ce jour était à des années-lumière de celui que j’avais si
souvent imaginé pour mon mariage. Dès le matin du 21 avril 1979 qui aurait dû être le plus
beau jour de ma vie, il me semblait, depuis notre départ de la maison, que tout se déroulait de
manière complètement banale, fade et ennuyeuse. Je me retrouvais là entourée de ces quatre
personnes à la mine patibulaire, à arpenter les quais, sans joie, comme une vulgaire touriste en
villégiature dans cette si jolie cité où avait été créé en 1967 par Claude Nobs le Montreux Jazz
Festival, pour les amateurs de musique du monde entier.
Pourtant, j’étais là pour atteindre l’un des grands buts de ma vie et, en plus, je m’attacherais à
une famille parisienne bourgeoise, sans doute très respectueuse des traditions. Que pensait
véritablement Fabien de ce jour, lui si peu enclin aux démonstrations ? De caractère pudique,
presque indécis, parfois, - souvent devrais-je dire - inconscient ? Si difficile à cerner, Fabien
était de toute façon hermétique aux effusions : je n’en sus que peu de choses.
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