Page 108 - ROLAND-GLORIA-DIANE-ET-MOI_Neat
P. 108

Mon parcours de vie m’avait appris que les drames, invisibles et latents, se dissimulent bien
               souvent  derrière  des  apparences  prometteuses…  Combien  de  fois  un  paradis  s’était-il
               ébauché, avec de grandes  promesses à la clé  ?  Combien de fois, à peine y avais-je goûté,
               avait-il fallu en faire le deuil ? La fébrilité des préparatifs des noces n’était exempte ni de
               questionnements ni d’appréhensions.
               Les longues discussions entre Fabien et moi sur le principe comme sur les modalités de notre
               mariage  prirent  doucement  forme.  Au  printemps  1979,  nous  convolerions  sur  le  territoire
               helvétique, dans ma commune d’origine, Saint-La-Légier Chiésaz, commune suisse du canton
               de  Vaud,  située  dans  le  district  de  la  Riviera-Pays-d’En  Haut,  au-dessus  de  Vevey,  sur  la
               montée des Pléiades qui offrent à la vue un magnifique panorama à la fois sur le lac Léman et
               sur les Alpes proches, en particulier vers les Dents du Midi et jusqu'au massif du Mont Blanc.
               D’un  commun  accord,  il  ne  serait  pas  question  de  mariage  religieux,  d’orgues,  de  robe
               blanche, de demoiselles d’honneur, de riz jeté sur les nouveaux mariés ni de dragées roses et
               blanches. Une simple cérémonie civile, en petit comité, exempte de décorum, scellerait notre
               union. Puis ce fut la prise de contact avec la commune de mes origines et toutes les autres
               démarches administratives, ainsi que le choix du restaurant. Celui des invités fut vite fait. Ne
               viendraient  à  ces  agapes  ni  les  parents  de  Fabien  soi-disant  mis  au  courant  par  leur  fils,
               absence qui n’étonnerait personne, ni mes sœurs ni nos amis non plus. En revanche, ma mère
               serait  de  la  partie,  accompagnée  de  son  mari,  et  nous  aurions  un  couple  de  proches  pour
               témoins.
               Le 21 avril 1979, le jour des noces arriva enfin. Pour cette occasion particulière, j’avais choisi
               un ensemble jupe et chemisier classique, plutôt sobre, bleu et blanc, agrémenté de quelques
               bijoux.  Le  temps,  clément,  permettait  d’apprécier  l’exubérance  des  arbres  en  fleurs  et  ces
               innombrables nuances de vert tendre, éphémères, que l’été se chargerait, en peu de temps,
               d’harmoniser.
               Avec celui qui allait devenir mon mari, je me mis en route vers Nyon pour y chercher ma
               mère et mon beau-père. Puis nous empruntâmes la route du lac, un parcours de 70,1 km pour
               rejoindre Montreux.  Ce fut l’occasion d’apprécier le trajet qui, sur une grande partie, suit les
               bords du Lac Léman et traverse différentes régions viticoles. Les magnifiques vignobles de
               Lavaux surplombent le lac, dont la réverbération profite à la proverbiale qualité des vins de
               ces régions.
               En regardant défiler ce paysage qui a inspiré tant de peintres, je songeais à tout ce dont ma vie
               avait  été  faite,  à  mon  destin  maléfique,  chargé  de  sortilèges :  il  semblait  enfin  vouloir  ne
               m’accorder que du bon, et j’étais presque heureuse.
               A  Montreux,  après  le  déjeuner  organisé  dans  un  restaurant  au  bord  du  lac,  nous  nous
               octroyâmes une balade  sur les quais. Cette journée qui aurait dû  être  extraordinaire  tout  à
               coup me frustra car je réalisai que ce jour était à des années-lumière de celui que j’avais si
               souvent imaginé pour mon mariage. Dès le matin du 21 avril 1979 qui aurait dû être le plus
               beau jour de ma vie, il me semblait, depuis notre départ de la maison, que tout se déroulait de
               manière complètement banale, fade et ennuyeuse. Je me retrouvais là entourée de ces quatre
               personnes à la mine patibulaire, à arpenter les quais, sans joie, comme une vulgaire touriste en
               villégiature dans cette si jolie cité où avait été créé en 1967 par Claude Nobs le Montreux Jazz
               Festival, pour les amateurs de musique du monde entier.
               Pourtant, j’étais là pour atteindre l’un des grands buts de ma vie et, en plus, je m’attacherais à
               une famille parisienne bourgeoise, sans  doute très respectueuse des  traditions.  Que pensait
               véritablement Fabien de ce jour, lui si peu enclin aux démonstrations ? De caractère pudique,
               presque indécis, parfois, - souvent devrais-je dire - inconscient ? Si difficile à cerner, Fabien
               était de toute façon hermétique aux effusions : je n’en sus que peu de choses.





                                                                                                     108
   103   104   105   106   107   108   109   110   111   112   113