Page 32 - LUX in NOCTE n°1
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un bruit sec, enfoncée jusqu'à la garde dans le bas-ventre de la vielle femme.

                      Suicide ! La chute fut lente et après quelques soubresauts, sans un cri, le
               corps s'est détendu dans un geste définitif, sans appel.
                      Le silence absolu avala le liquide acre et presque violet qui ruisselait de la

               plaie béante se mêlant en partie au sol marron couvert de sable et de sciure ; le
               reste du sang s'écoula à travers la petite tranchée prévue à ces fins. Des moments
               pesants compressèrent le passé et l'avenir de cet être dans les quelques secondes

               dominées par l'amour maternel.
                      Une porte latérale s'ouvrit et les miasmes mortuaires bougèrent un moment
               entraîné par le courant d'air. Jinou entra lentement. Sans un regard pour la morte,
               il alla vers le condamné et lui arracha la chaîne avec la médaille. L'aide rentra,

               détacha le prisonnier et récupéra les chaussures ; un pauvre type sorti du sac.
               Pieds nus et moites sur le ciment froid, traînant une odeur d'urine, tremblant de

               tous ses membres il se précipita vers un coin de la pièce, trouva une bouteille
               d'alcool et but de longues rasades.
                      L'aide lui remis une liasse de billets et ses vieux tennis. Après un coup d’œil
               au cadavre, il partit vers son asile en mâchant des mots incompréhensibles et en

               froissant de sa main droite de temps à autre les billets dans sa poche.
               Pendant ce temps Jinou quitta la pièce et pénétra dans une grande salle luxueuse
               inimaginable  vu  l'état  extérieur  du  bâtiment.  Une  musique  jazzy,  souligna

    31         l’ambiance feutrée et donnait du charme au cadre. Une grande table, un buffet
               somptueux décoré avec des fleurs, présentait caviar, champagne et petits fours, et
               s’accommodait parfaitement avec le service de table en cristal et faïence rare et

               de qualité.
                      Des invités arrivèrent se glissant par une porte discrète dont on ignorait
               l'existence. Le ministre de la défense et sa suite, le Directeur des Services Secrets,

               d'autres militaires et officiels, son père, s’empressèrent de féliciter Jinou pour sa
               nomination de chef du service récemment crée : L'auto neutralisation.
               Il  ne  s'agissait  pas  de  voitures  mais,  ce  département  constitué  d'experts  en
               psychologie était censé agir avec une parfaite discrétion et de manipuler « les

               cibles » afin qu’elles se suicident sans que l'on puisse attacher leur acte à aucun
               de nos services. Un secrétaire apporta le formulaire d'embauche dans un porte-

               documents  très  élégant  et  le  fit  signer  à  Jinou  avec  un  stylo  doré  sur  fond
               d'applaudissements civilisés.
                      Dehors, la pluie glacée continua à tomber avec intermittences et le ciel
               restait plombé par des gros nuages gris-anthracite. Le vent balança sans arrêt les

               quelques lampadaires sinistres et branlants qui éclairaient à peine le quartier. Dans
               la rue déserte, une voiture noire de marque indéfinie démarra lentement emportant
               le corps de la vielle femme à la morgue. Au bout de quelques minutes, juste après

               avoir tourné, sans raison apparente la voiture fit une embardée et monta sur le
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