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DANS L’ÉDUCATION
                  cotée en bourse, publiant ces atroces résultats trimestriels, l’éducation
                  en serait un actionnaire important, sans aucun doute. On se suicide
                  lorsqu’on est convaincu d’être inadapté à la société. Dans les tribus
                  anciennes, tout humain du groupe était considéré comme adéquat a
                  priori. Mais dans nos sociétés modernes, l’adéquation ne va pas de
                  soi. À l’école, par exemple, si vous n’êtes pas en adéquation avec le
                  système, c’est vous le coupable, pas lui. C’est une absurdité : l’homme
                  construit des systèmes pour se servir, et ils finissent par l’asservir, lui.
                  Cette situation se répète inlassablement dans notre histoire.
                    Prenons le cas français. Au début, l’école était considérée comme
                  une corvée non pas par les enfants mais par leurs parents ! Pour
                  les enfants, elle était en effet séduisante : entre assembler des bottes
                  de foin et apprendre l’histoire de Jules César, le calcul était vite
                  fait, et ce furent les parents qui s’opposèrent le plus volontiers à
                  la scolarisation de leur progéniture, perçue comme une perte de
                  temps. Aujourd’hui, cependant, comme l’école n’a que peu évolué
                  dans l’art de susciter l’attention des élèves, ces derniers ont le choix
                  entre les médias de masse sur Internet et leurs cours. Bien sûr, ce
                  ne sont pas les cours qui gagnent. Et l’école, qui était autrefois la
                  corvée des parents, est devenue celle des enfants.
                    À partir du moment où ce n’est plus à l’école de s’adapter à
                  l’homme mais à l’homme de s’adapter à l’école, le ver est dans le
                  fruit. Reprenons, par exemple, la métaphore du buffet. À l’école
                  nous ne sommes pas notés pour ce que nous avons mangé mais
                  pour ce que nous n’avons pas mangé. Quand une copie est corrigée,
                  ce que l’on y voit, en rouge, c’est ce qui nous manque, pas ce que
                  nous avons assimilé, qui va de soi. Ainsi, nous grandissons dans
                  le conditionnement : nous apprenons à repérer d’abord que ce qui
                  nous manque. Cela tombe bien, notre société est construite sur ce
                  modèle, celui du manque plutôt que de la plénitude, de l’insatis‑
                  faction permanente plutôt que de la satisfaction simple, du négatif
                  plutôt que du positif, etc.
                    En France, obtenir 20/20, c’est avoir mangé le buffet en entier,
                  mais personne n’a cette note en moyenne. Si nous laissons trop
                  d’assiettes pleines, nous passons en dessous de la moyenne, et nous
                  échouons à entrer dans la classe supérieure, une humiliation. Or
                  l’éducation nous prépare à la société, et plus elle sera violente, stres‑
                  sante, douloureuse, frustrante et anti fraternelle, plus notre société


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