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DANS L’ÉDUCATION
                  gras, rien de plus. Un cerveau conditionné, dépendant et conforme.
                  On ne peut espérer construire une société saine si cette société
                  produit en masse des cerveaux gavés, habitués à la souffrance et à
                  la frustration. Or que semons‑ nous dans le cerveau naturellement
                  curieux de nos enfants ? Frustration, inquiétude, conditionnement,
                  soumission, souffrance, incarcération. Certains de ces cerveaux vont
                  mourir ou tuer, mais les plus gras d’entre tous accéderont aux
                  postes de décision et de pouvoir.

                  L’éducation « multicanal »
                    Mais assez visité l’enfer, à présent. Comment en sortir, plutôt ? Ce
                  qu’il y a de terrible, dans notre éducation prétendument tradition‑
                  nelle, c’est qu’elle n’épouse pas notre cerveau. Pourquoi en serait‑ il
                  autrement, d’ailleurs ? Nous ne savions quasiment rien du cerveau
                  lorsque nous avons pensé l’école. Si l’éducation est une boîte, comme
                  le dit si bien Pierre Rabhi, elle est une boîte carrée et rudimentaire
                  qui n’est pas aux dimensions du cerveau, mais qui essaye de l’y faire
                  entrer de force, et le rend coupable de ne pas se mouler dedans. Ou
                  pire, qui lui fait croire que rien n’existe en dehors d’elle.
                    L’éducation ergonomique est multimodale, ou « multicanal ».
                  Prenons l’exemple de la chasse. De la savane à l’ère glacière, cette
                  situation d’apprentissage n’a cessé d’évoluer en un mélange équi‑
                  libré d’olfaction, d’audition, de vue, de mouvement, de planifi‑
                  cation mentale, d’effort intellectuel et physique. À l’école, c’est le
                  contraire : l’apprentissage noble est de loin le moins ergonomique,
                  puisqu’il est monocanal.
                    Pour le neuroscientifique, le cerveau est un appareil d’organes
                  d’une complexité merveilleuse et encore inexplorée, et il y a autant
                  de négligence à le mettre dans une boîte qu’il y en aurait à faire
                  entrer un téléobjectif à deux mille euros dans un cageot à légumes.
                  À la Renaissance, une prise de conscience comparable eut lieu.
                  Le corps humain est magnifique et sacré, il faut le représenter,
                  l’étudier, et ce n’est pas à lui d’entrer dans nos mesures. Des gens
                  comme Léonard de Vinci ont pris conscience, par exemple, qu’il ne
                  fallait pas forcer la nature à ressembler à nos idées, mais agrandir
                  nos idées pour qu’elles ressemblent à la nature, qui est beaucoup
                  plus riche et complexe que nos clichés primitifs.


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