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LIBÉREZ VOTRE CERVEAU !
éducatif, puisque l’école n’est pas conçue pour le stimuler. Tout
retard dans l’absorption standardisée du programme sera bien sûr
puni. Certains élèves arrivent à l’école avec de l’appétit – ils sont
rares, et souvent leur appétit initial s’estompe ou se voit remplacé
par une simple addiction à la note, que nous présentons comme une
vertu, alors qu’au fond, elle est un vice – pour les autres, l’ordalie
va être particulièrement pénible.
Si vous avalez trop de nourriture sans la mâcher, vous vous
sentirez mal, parce que votre système nerveux digestif, qui est très
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intelligent, vous le signalera . On appelle notre système nerveux
autonome, et en particulier digestif, le « deuxième cerveau » parce
que c’est la partie du corps qui contient le plus de neurones après
le « premier cerveau ». Nous serions scandalisés si l’école gavait
le deuxième cerveau de nos enfants de force, ne serait‑ ce qu’une
seule journée, alors pourquoi accepter qu’elle procède de même
avec leur premier cerveau ?
Par ailleurs, la façon naturelle qu’a notre système digestif d’absor‑
ber de la nourriture, c’est le plaisir. Manger n’est une corvée pour
personne, c’est un moment positif et gratifiant. Alors pourquoi
faudrait‑ il qu’il en soit autrement pour notre premier cerveau, qui
aime naturellement apprendre ? N’est‑ il pas surprenant qu’autant
de personnes finissent écœurées par la connaissance ? Est‑ ce une
vertu, est‑ ce du mérite que de faire partie des happy few qui sur‑
vivent à cet écœurement organisé ?
Comment expliquer qu’une chose aussi intellectuellement stimu‑
lante et épicée que les mathématiques soit détestée par tant de gens
de par le monde ? Certaines personnes aiment immédiatement les
mathématiques, d’autres doivent apprendre à les aimer petit à petit,
mais personne ne devrait jamais en être dégoûté. C’est un crime
contre la conscience humaine que de les transmettre d’une manière
qui exclura forcément des élèves, et il est plus grave encore de prendre
ce mode pour vertueux. L’empan minuscule de nos sciences a besoin
de ce qu’un maximum d’humains soient versés dans leur connais‑
sance, et il n’y a rien d’utile ni de noble à faire d’elles un club élitiste.
Qu’obtenons‑ nous à gaver physiquement des oies ? Du foie gras.
Alors qu’espérons‑ nous obtenir en gavant des élèves ? Du cerveau
1. D’où l’expression anglaise gut feelings, littéralement : « les sentiments des tripes ».
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