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LIBÉREZ VOTRE CERVEAU !
La métaphore de la tortue
Jaime Lerner, architecte et ancien maire de Curitiba (Brésil), a
résumé l’idée de quartiers multifonctions dans la « métaphore de la
tortue ». Le tissu urbain, avec ses mini‑ villages, peut se lire comme
les empiècements d’une carapace de tortue. De même qu’une tor‑
tue ne serait pas heureuse si l’on détachait ses pièces les unes des
autres, la ville ne sera guère heureuse si l’on distingue ses unités
fonctionnelles en métro‑ boulot‑ dodo.
Les distinctions fonctionnelles proviennent de la révolution
industrielle, d’époques révolues où l’on pouvait légitimement ne
pas vouloir vivre à l’ombre des cheminées d’usine, mais aujourd’hui,
l’heure est à la cité systémique et bienveillante. Ce n’est donc pas
à la ville de prendre sur mes nerfs, ce sont à mes nerfs de prendre
sur la ville. Une cité frustrante est une cité violente. Les banlieue où
pourrissent nos jeunes, sans sens et sans avenir, sont aussi des lieux
où ont pourri leurs parents avant eux, qui parfois les auront battus
en soulagement de leurs propres frustrations, amplifiant encore,
par mimétisme, la transmission de la violence.
La ville de demain ne sera pas en compétition avec la nature
mais en coopération avec elle. C’est cet axe immatériel qui devra
la structurer, ne laissant de côté aucun de ses quartiers, faute de
quoi ceux‑ là se nécroseront et menaceront la physiologie de la
ville entière, comme un seul organe infecté provoque la fièvre dans
tout le corps humain. Cette idée est développée notamment par la
théorie de « l’acupuncture urbaine », selon laquelle des opérations
d’architecture ciblées peuvent assainir toute une cité…
S’il est encore besoin d’illustrer, autrement, ce qu’est une ville qui
« tire sur nos nerfs », souvenons‑ nous du décès tragique du professeur
David MacKay, qui fondit en larmes à l’hôpital, peu avant sa mort,
faute d’avoir pu ne serait‑ ce que dormir une fois tranquille durant la
dernière semaine de sa vie, parce que sa chambre était noyée de bruit
1
jour et nuit . Chaque goutte de misère compte, et l’enjeu n’est pas de
les comparer les unes aux autres ici, mais d’affirmer que l’on peut,
dans nos cités, réduire ce que nos structures prennent à nos nerfs.
1. Knapton, S., « Cambridge Professor reduced to tears by noisy hospital before
death », Daily Telegraph, 2016.
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