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MARKETINg, POLITIQUE ET JOURNALISME


                  Les nouveaux dealers de l’information

                    Le philosophe Alain de Botton a récemment comparé les dépêches
                  aux rites religieux, et il est vrai que les journaux de vingt heures ou
                  annonces matinales ont une profonde dimension rituelle. Je pense
                  que la majorité de leurs auditeurs se pressent aux nouvelles bien
                  davantage pour des raisons émotionnelles qu’informationnelles.
                  Nous écoutons les nouvelles pour recevoir notre dose d’émotions,
                  et pour la voir confortée par nos pairs le lendemain. Les médias,
                  ainsi, sont une source profonde de conformité. Il y existe d’ailleurs
                  une « contagion émotionnelle », qui a été délibérément testée sur
                  Facebook et d’autres réseaux, pour un total de plus de six cent
                  quatre‑ vingt‑ neuf mille utilisateurs : si l’on présente davantage de
                  nouvelles négatives à un membre du réseau social, ses publications
                  sur le réseau seront significativement plus négatives, et inversement
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                  pour des nouvelles positives .
                    Cette expérience de manipulation émotionnelle à grande échelle,
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                  bien qu’elle fût légale, a provoqué un tollé médiatique  légitime
                  puisqu’elle a fait prendre conscience aux médias‑ consommateurs
                  de leur vulnérabilité vis‑ à‑ vis de leurs « dealers de nouvelles », et
                  leur absence de libre arbitre.
                    Nous croyons, en effet, sélectionner les informations et construire
                  à partir d’elles un discours cohérent, mais il n’en  est rien. Par
                  exemple, le mot « choix » n’a que très peu de sens quand nous
                  choisissons ce que nous avons étés conditionnés à choisir : c’est
                  valable aussi bien pour un choix physique que pour un choix
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                    mental . L’expression « libre‑ pensée » n’a que peu de sens quand
                  nous pensons ce que nous avons été conditionnés à penser. Le « fait
                  objectif » n’a guère plus de sens, car il n’y a pas de faits, il n’y a
                  que des perspectives, même dans une expérimentation scientifique
                  (car toute expérimentation est un angle d’attaque limité du réel).
                  C’est pour cette raison que Richard Francis Burton a écrit qu’un


                    1.  Kramer, A.  D., Guillory, J.  E. et Hancock, J.  T., « Experimental evidence of
                  massive‑ scale emotional contagion through social networks », Proceedings of the National
                  Academy of Sciences (2014), 111, 8788‑8790.
                    2.  Chambers, C., « Facebook fiasco : Was Cornell’s study of “emotional contagion”
                  an ethics breach? », The Guardian, 2014.
                    3.  Cette observation est due à Idries Shah.

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