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LIBÉREZ VOTRE CERVEAU !
                  « fait » est finalement « la plus paresseuse des superstitions ». Si
                  l’on veut parler de « faits » il faut toujours rappeler leur contexte,
                  expérimental, historique, etc.

                                   Pour combattre le racisme,
                                          devenez noir !

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                  Avec l’expérience des yeux bleus , on a pu voir une illustration de l’adage
                  indien : « Ô grand Esprit, préserve‑ moi de juger quiconque avant d’avoir
                  parcouru une lieue dans ses mocassins. » Dans quelle mesure l’illusion
                  de vivre dans le corps d’une personne noire peut‑ elle modifier nos préju‑
                  gés, même inconscients ? C’est la question que se sont posée la cher‑
                  cheuse Lara Maister et ses collaborateurs de l’équipe de Manos Tsakiris,
                  à Londres.
                  Pour comprendre leur expérience, il  faut  avoir  à  l’esprit  que notre
                  cerveau regorge d’associations inconscientes, sur le modèle de la synapse
                  hebbienne et de la stigmergie. Ces associations furent utilisées autrefois
                  en psychologie expérimentale, notamment par Jung. On retrouve égale‑
                  ment, dans une fable soufie attribuée au calife Sadiq (mort en 765), une
                  trace d’étude psychophysiologique : un maître interroge une jeune femme
                  malade tout en prenant son pouls et découvre ainsi l’amour secret dont
                  elle se languit, et qui élève son rythme cardiaque à chaque évocation .
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                  Dans le cas du racisme, certains corrélats neuronaux du préjugé sont
                  assez bien connus : chez certaines personnes, par exemple, l’observation
                  du visage d’un individu noir sur un écran se corrélera davantage que
                  la moyenne à une activation de l’amygdale, qui est un centre essentiel
                  à la formation de la peur dans le cerveau . Un autre corrélat psycholo‑
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                  gique du racisme peut se mesurer à l’aune des associations verbales et
                  sémantiques : chez certains, la lecture préalable du mot « homme noir »,
                  sur un écran, consciemment ou non (c’est‑ à‑ dire en image subliminale
                  ou pas), réduit le temps de lecture du mot « violent », présenté aussi‑
                  tôt après. Dans ce cas, on parle d’amorçage sémantique : si, en effet, le
                  groupe nominal « homme noir » amorce l’épithète « violent » au point
                  d’en faciliter la perception, on peut en déduire que les deux sont associés
                  dans l’esprit du sujet.

                    1.  Cf. p. 134.
                    2.  La fable se retrouve chez  Rūmī et dans la Gesta Romanorum Shah, I, Caravan
                  of Dreams (Octagon), 1988, p. 166.
                    3.  Chekroud, A. M., Everett, J. A., Bridge, H. et Hewstone, M., « A review of neu‑
                  roimaging studies of race‑ related prejudice : Does amygdala response reflect threat? »,
                  Frontiers in Human Neuroscience (2014), 8.

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