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Les religions au Paléolithique supérieur
(canines de carnassiers). Ils soulignent incidemment aires domestiques. L’association au règne animal se
l’insertion du monde humain dans la nature sauvage, trouve discrètement soulignée par les ossements ani -
voire la volonté de s’y intégrer. Mais le choix d’élé - maux placés directement dans la tombe ou à proximité
ments redoutables montre qu’au-delà de l’ostentation, immédiate; on trouve ainsi des os de bison et de renne
il s’agit aussi de manifester la force et l’audace de près du caisson funéraire de Saint-Germain-la-Rivière
l’homme sur les dangers naturels. À cette étape donc, (Gironde).
et en fonction de ces simples objets, nous sommes, Les défunts sont parfois accompagnés d’objets,
pour la première fois depuis des millions d’années, d’outils et, plus significativement, d’œuvres d’art. La
dans la direction d’une emprise totale de l’homme sur plus célèbre d’entre elles provient d’une sépulture de
la nature. Brno, en Moravie, où une statuette humaine en ivoire,
un bâton de tambour et de nombreux éléments déco -
Sépultures ratifs indiquent clairement la fonction chamanique de
Plus abondantes que précédemment, elles présentent la personne inhumée. Les morts des sépultures de
également davantage de variété dans le mobilier Sungir (Russie) possèdent des lances en ivoire de
lithique, osseux et artistique, et dans leur charge mammouth, des cercles osseux découpés et d’innom -
symbolique (elles sont souvent ocrées et contiennent brables perles cousues sur tout le costume. Ces
des corps ornés et du mobilier funéraire). Elles mani - différences de traitement équivalent à des différences
festent un rapport constant entre les deux formes de sociales exprimées au sein même du groupe ethnique
la vie : celle-ci et la suivante, car la protection ritualisée dont les défunts furent ainsi honorés.
du défunt le distingue définitivement du statut de l’ani - Plus curieusement encore, certaines sépultures sont
mal consommé ou mythifié. L’association fréquente à couvertes de dalles de pierre ou d’ossements. La plus
l’ocre, couleur de vie, va dans le même sens. Pour la spectaculaire a été découverte à Saint-Germain-la-
première fois aussi, les positions allongées l’emportent Rivière. Le corps était enclos d’un caisson fait de
sur celles courbées, fléchies ou contractées. Signe dalles assemblées préfigurant les mégalithes néoli -
fondamental, les sépultures se trouvent assemblées thiques et évoquant la pérennité offerte par la roche,
soit dans la même fosse, soit dans des fosses join tives, plus flagrante encore dans le cas des sépultures en
comme si le territoire ainsi consacré était distingué des grottes observées à plusieurs reprises. Celles-ci offrent
un attrait particulier car elles incarnent la pénétration
dans un monde mystérieux, redoutable et immuable.
Dans les cas les plus suggestifs, ces sépultures sont
associées à l’art pariétal, comme à Cussac (Dordogne)
où sept corps furent déposés sur le sol, à Vilhonneur
(Charente) ou au Cap Blanc (Dordogne). Cette asso -
ciation spirituelle évidente, fréquemment observée en
ethnologie, rappelle les pratiques de nos temps histo -
riques, lorsque les défunts étaient enterrés dans les
sanctuaires chrétiens ou à proximité immédiate (cime -
tières de nos églises). Toutefois, ces cas restent rares
au Paléolithique, même si les premières observations
sur l’art pariétal ont été faites sans réel intérêt porté
au sol et moins encore au sous-sol.
Culte des crânes et culte des ours
Si riche au Néolithique (l’ancêtre désigne alors la
propriété territoriale) et si fréquent en ethnologie,
le culte des crânes est plus discret à cette période où
l’homme en général n’est guère représenté, du moins
de façon réaliste. La fascination pour la nature, la
recherche de son harmonie, la volonté de s’inscrire
en elle expliquent probablement cette discrétion,
d’ailleurs partagée par de nombreux peuples chas -
seurs. D’importants exemples existent néanmoins,
dont le « crâne » du Placard (Charente), cette calotte
Sépulture féminine, abri-sous-roche du Cap Blanc (Dordogne).
© Paul Bahn humaine qui fut découpée et abandonnée telle quelle.
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