Page 38 - Lux in Nocte 14
P. 38

Les religions au Paléolithique supérieur






                  (canines de carnassiers). Ils soulignent incidemment  aires domestiques. L’association au règne animal se
                  l’insertion du monde humain dans la nature sauvage,  trouve discrètement soulignée par les ossements ani  -
                  voire la volonté de s’y intégrer. Mais le choix d’élé -  maux placés directement dans la tombe ou à proximité
                  ments redoutables montre qu’au-delà de l’ostentation,  immédiate; on trouve ainsi des os de bison et de renne
                  il s’agit aussi de manifester la force et l’audace de  près du caisson funéraire de Saint-Germain-la-Rivière
                  l’homme sur les dangers naturels. À cette étape donc,  (Gironde).
                  et en fonction de ces simples objets, nous sommes,  Les  défunts  sont  parfois  accompagnés  d’objets,
                  pour la première fois depuis des millions d’années,  d’outils et, plus significativement, d’œuvres d’art. La
                  dans la direction d’une emprise totale de l’homme sur  plus célèbre d’entre elles provient d’une sépulture de
                  la nature.                                      Brno, en Moravie, où une statuette humaine en ivoire,
                                                                  un bâton de tambour et de nombreux éléments déco  -
                  Sépultures                                      ratifs indiquent clairement la fonction chamanique de
                  Plus abondantes que précédemment, elles présentent  la personne inhumée. Les morts des sépultures de
                  également  davantage  de  variété  dans  le  mobilier  Sungir (Russie) possèdent des lances en ivoire de
                  lithique,  osseux  et  artistique,  et  dans  leur  charge  mammouth, des cercles osseux découpés et d’innom  -
                  symbolique (elles sont souvent ocrées et contiennent  brables  perles  cousues  sur  tout  le  costume.  Ces
                  des corps ornés et du mobilier funéraire). Elles mani -  différences de traitement équivalent à des différences
                  festent un rapport constant entre les deux formes de  sociales exprimées au sein même du groupe ethnique
                  la vie : celle-ci et la suivante, car la protection ritualisée  dont les défunts furent ainsi honorés.
                  du défunt le distingue définitivement du statut de l’ani  -  Plus curieusement encore, certaines sépultures sont
                  mal consommé ou mythifié. L’association fréquente à  couvertes de dalles de pierre ou d’ossements. La plus
                  l’ocre, couleur de vie, va dans le même sens. Pour la  spectaculaire a été découverte à Saint-Germain-la-
                  première fois aussi, les positions allongées l’emportent  Rivière.  Le  corps  était  enclos  d’un  caisson  fait  de
                  sur celles courbées, fléchies ou contractées. Signe  dalles assemblées préfigurant les mégalithes néoli  -
                  fondamental, les sépultures se trouvent assemblées  thiques et évoquant la pérennité offerte par la roche,
                  soit dans la même fosse, soit dans des fosses join tives,  plus flagrante encore dans le cas des sépultures en
                  comme si le territoire ainsi consacré était distingué des  grottes observées à plusieurs reprises. Celles-ci offrent
                                                                  un attrait particulier car elles incarnent la pénétration
                                                                  dans un monde mystérieux, redoutable et immuable.
                                                                  Dans les cas les plus suggestifs, ces sépultures sont
                                                                  associées à l’art pariétal, comme à Cussac (Dordogne)
                                                                  où sept corps furent déposés sur le sol, à Vilhonneur
                                                                  (Charente) ou au Cap Blanc (Dordogne). Cette asso -
                                                                  ciation spirituelle évidente, fréquemment observée en
                                                                  ethnologie, rappelle les pratiques de nos temps histo  -
                                                                  riques, lorsque les défunts étaient enterrés dans les
                                                                  sanctuaires chrétiens ou à proximité immédiate (cime  -
                                                                  tières de nos églises). Toutefois, ces cas restent rares
                                                                  au Paléolithique, même si les premières observations
                                                                  sur l’art pariétal ont été faites sans réel intérêt porté
                                                                  au sol et moins encore au sous-sol.

                                                                  Culte des crânes et culte des ours
                                                                  Si  riche  au  Néolithique  (l’ancêtre  désigne  alors  la
                                                                  propriété  territoriale)  et  si  fréquent  en  ethnologie,
                                                                  le culte des crânes est plus discret à cette période où
                                                                  l’homme en général n’est guère représenté, du moins
                                                                  de  façon  réaliste.  La  fascination  pour  la  nature,  la
                                                                  recherche de son harmonie, la volonté de s’inscrire
                                                                  en  elle  expliquent  probablement  cette  discrétion,
                                                                  d’ailleurs partagée par de nombreux peuples chas -
                                                                  seurs.  D’importants  exemples  existent  néanmoins,
                                                                  dont le « crâne » du Placard (Charente), cette calotte
                  Sépulture féminine, abri-sous-roche du Cap Blanc (Dordogne).
                  © Paul Bahn                                     humaine qui fut découpée et abandonnée telle quelle.



      40
                                                             38
   33   34   35   36   37   38   39   40   41   42   43