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184   chapitre 7  L’âge préscolaire : développement identitaire et socioaffectif



                 7.1.2     La perspective sociale                      nuancer qu’à l’adolescence. Pour les enfants d’âge pré-
                           cognitive                                   scolaire, les choses sont souvent noires ou blanches,
                                                                       bonnes ou mauvaises, catégorisées une fois pour toutes.
                 Nous l’avons vu au chapitre 2, contrairement à la tradition   •  Du point de vue de l’observateur à un point de vue plus
                 psychodynamique, la perspective sociale cognitive postule   général  Avec le temps, les enfants deviennent moins
                 que le développement important des capacités cognitives   égocentriques, moins obnubilés par leur point de vue
                 de l’enfant d’âge préscolaire permet les changements émo-  personnel, et plus aptes à construire des modèles d’expé-
                 tionnels et sociaux qui surviennent durant cette période.   riences ou de processus qui s’appliquent à tout le monde.
                 Par exemple, lorsque son égocentrisme diminue, l’enfant   On peut observer ce phénomène dans l’évolution des
                 peut acquérir l’empathie ou la compréhension des émotions   dialogues et des conversations entre pairs. Au début, ce
                 d’autrui (Macrae et Bodenhausen, 2000 ; Smetana et autres,   sont des cacophonies où chacun dit au fur et à mesure
                 2012). Dans les dernières décennies, les psychologues ont   tout ce qui lui passe par la tête, même si, souvent, cela
                 fait beaucoup de travaux théoriques et scientifiques pour   n’a aucun lien avec ce que l’autre vient de dire. En vieillis-
                 expliquer les liens entre le développement cognitif et le   sant, les enfants écoutent de plus en plus les propos
                 développement socioaffectif.                          d’autrui et les intègrent à leur pensée pour y donner une
                                                                       suite logique, ce qui finit par produire des échanges ver-
                 Plusieurs aspects du développement de la cognition sociale   baux orchestrés et réciproques comme ceux que nous
                 ont déjà été abordés, notamment la compréhension accrue   avons tous les jours.
                 des émotions d’autrui qu’a le nourrisson, sa capacité de recon-
                 naître les gens et d’utiliser leurs expressions faciales ou leur   Toutes ces dimensions témoignent autant du développe-
                 langage corporel comme référence sociale pour guider son   ment de la cognition sociale chez l’enfant que de l’ensemble
                 propre comportement, etc. Le modèle interne de l’attache-  de son développement cognitif.
                 ment et le schème de soi du nourrisson peuvent aussi être   Pour interpréter et prédire les comportements des autres,
                 vus comme des modèles internes de cognition sociale.  les enfants doivent donc en apprendre suffisamment sur
                 Dans les chapitres précédents, nous avons également étudié   leurs pensées, leurs croyances, leurs sentiments et leurs
                 le développement de la pensée avant l’âge préscolaire. Selon   intentions ; autrement dit, ils doivent acquérir et appliquer
                 la perspective sociale cognitive, l’enfant applique ses habi-  une théorie de l’esprit. Nous avons vu aux chapitres 2 et 6 que
                 letés cognitives à ses interactions avec les gens comme il le   le terme théorie de l’esprit désigne l’ensemble des idées
                 fait avec les objets (l’acquisition de la permanence de l’objet,   qui permet à un individu de se représenter l’état d’esprit
                 entre autres). Sa perception et sa compréhension de soi,   d’autrui (pensées, croyances, sentiments, intentions) et de
                 d’autrui et des relations sociales (sa capacité d’imaginer le   prédire ses comportements. Autrement dit, c’est une théorie
                 point de vue d’autrui, par exemple) reflètent donc son déve-  que nous avons en nous, un concept interne qui permet
                 loppement cognitif (Rubin et autres, 2005 ; Selman, 1980).  d’expliquer ce que nous pensons quand nous demandons à
                                                                     l’autre « À quoi penses-tu ? », par exemple.
                 D’ailleurs, les recherches confirment que beaucoup des prin-
                 cipes mis en lumière par les théoriciens du développement   Les enfants doivent également apprendre diverses règles qui
                 cognitif s’appliquent au développement de la cognition   régissent certaines formes d’interactions sociales, comme
                 sociale. Ainsi, la cognition sociale se développe dans des   celles qui ont trait aux hiérarchies de dominance ou de pou-
                 directions bien précises :                          voir, aux comportements et aux rôles sexués ou à la politesse
                                                                     et aux moments où il convient de parler ou de se taire. En
                 •  Des caractéristiques extérieures vers les caractéris­  termes cognitifs, ils doivent apprendre diverses formes de
                   tiques intérieures  Les jeunes enfants sont captivés par   scénarios sociaux qui leur permettront d’anticiper la manière
                   l’apparence des gens comme des choses ; en vieillissant,   dont les gens se comporteront dans tel ou tel contexte
                   ils se mettent à en chercher les causes et les principes   (Schank et Abelson, 1977). Ces scénarios changent avec l’âge.
                   sous-jacents. Par exemple, une fois qu’ils ont appris et
                   retenu que le ciel est bleu, ils pourront demander : « Pour-
                   quoi le ciel est-il bleu ? »                      La théorie de l’esprit chez l’enfant :
                 •  De l’observation à l’inférence  Les conclusions des   acquisition de la cognition sociale
                   jeunes enfants ne se basent que sur ce qu’ils peuvent voir   De manière générale, l’enfant d’âge préscolaire ne semble
                   ou ressentir ; en vieillissant, ils apprennent à faire des   pas appréhender le monde ni traiter l’information selon un
                   inférences sur ce qui va ou ce qui peut se passer. Par   ensemble de règles générales comme le fait l’enfant plus
                   exemple, si le ciel se couvre de nuages gris, l’enfant pourra   âgé. Par exemple, il n’arrive pas à transposer aisément une
                   en déduire qu’il va peut-être pleuvoir.           notion qu’il a acquise dans un contexte donné à une situation
                 •  De l’absolu au nuancé  Les « règles » des jeunes enfants   semblable, mais non identique – à la généraliser. Des
                   sont absolues et immuables ; elles ne commencent à se   recherches récentes indiquent que les habiletés cognitives









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