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186   chapitre 7  L’âge préscolaire : développement identitaire et socioaffectif



                 Par exemple, un enfant qui croit que sa mère l’a laissé seul   Dans une étude (Pillow, 1999), des chercheurs ont montré à
                 dans la maison parce qu’il ne la voit plus pourra pleurer   un groupe d’enfants de 4 ans et à un groupe d’enfants de
                 même si elle est cachée derrière le divan.          6 ans ainsi qu’à une poupée (la poupée servant de mesure
                                                                     du point de vue d’autrui) 2 jouets de couleurs différentes
                 Les gens agissent en fonction de leurs représentations, que   qu’on a ensuite cachés dans deux contenants opaques. Puis,
                 celles-ci correspondent ou non à la réalité. Dans la théorie   après avoir ouvert l’un des contenants et montré à la poupée
                 de l’esprit, c’est ce principe fondamental qui émerge de   le jouet qui s’y trouvait, l’expérimentateur a demandé aux
                 manière évidente vers l’âge de 4 ou 5 ans.
                                                                     enfants de 4 ans et de 6 ans si la poupée savait maintenant
                                                                     de quelle couleur était le jouet dans chacune des boîtes ;
                 Les limites de la théorie de l’esprit à l’âge préscolaire  seuls les enfants de 6 ans ont répondu oui. Dans une étude
                 Rappelons que la compréhension du point de vue d’autrui   subséquente, Pillow (2002) a soumis des enfants à une
                                                                     épreuve similaire, mais tantôt avec une poupée, tantôt sans
                 est loin d’être parfaite à un aussi jeune âge. Au niveau 1,   poupée. Dans les deux cas, les enfants devaient expliquer
                 l’enfant sait que d’autres personnes vivent les choses diffé-  leur réponse et dire jusqu’à quel point ils en étaient certains.
                 remment, et au niveau 2, il élabore une série de règles com-  Les résultats ont révélé que ceux de 6 ans commençaient à
                 plexes pour déterminer précisément ce que l’autre personne   comprendre la différence entre deviner et inférer la réponse
                 voit ou vit (Flavell et autres, 1990). Vers 2 ou 3 ans, les enfants   (par déduction ou par induction) et étaient plus certains de
                 ont une compréhension du niveau 1, mais pas du niveau 2 ;   la réponse lorsqu’il s’agissait de la leur que lorsqu’il s’agissait
                 la compréhension du niveau 2 commence à apparaître vers   de celle d’autrui (la poupée).
                 4 ou 5 ans. Par exemple, un enfant de 4 ou 5 ans comprend
                 qu’une autre personne se sente triste. La conscience accrue   Enfin, l’enfant de 4 ans sait que les autres pensent, mais il
                 qu’a l’enfant de cet âge du fonctionnement de la pensée se   n’envisage pas encore qu’ils peuvent penser à lui. Si on lui dit :
                 manifeste aussi dans d’autres habiletés. Par exemple, les   « Je sais que tu sais », il comprend, mais il ne saisit pas vraiment
                 enfants de 3 à 5 ans comprennent que, pour résoudre le   que le processus est réciproque, qu’on peut lui dire : « Tu sais
                 problème de l’éponge et du caillou, il faut nécessairement   que je sais. » La compréhension du caractère réciproque
                 toucher ou tenir l’objet ; le regarder ne suffit pas (Flavell, 1993 ;   (réversible) de la pensée semble apparaître entre 5 ans et
                 O’Neill et autres, 1992). De même, les enfants de 4 ans (mais   7 ans chez la plupart des enfants (Sullivan et autres, 1994).
                 pas de 3 ans) savent que, pour se souvenir d’une chose ou   Le fait est important, car cette compréhension est probable-
                 pour l’oublier, il faut l’avoir apprise ou avoir été en contact   ment nécessaire pour établir de vraies amitiés réciproques
                 avec elle auparavant (Lyon et Flavell, 1994).
                                                                     à l’école primaire. D’ailleurs, la vitesse à laquelle un enfant
                 Ces changements sont importants, car ce sont les premiers   d’âge préscolaire développe une théorie de l’esprit est un
                 signes de métacognition, c’est-à-dire de conscience qu’a   prédicteur de ses habiletés sociales dans la petite enfance et
                 l’individu de ses propres processus d’acquisition de connais-  au primaire (Moore et autres, 1998 ; Watson et autres, 1999).
                 sances (mémoire et résolution de problèmes). Cependant,
                 l’enfant de 4 ou 5 ans n’en est pas encore là, et bien des   La théorie de l’esprit dans d’autres cultures
                 aspects de la pensée d’autrui lui échappent toujours. Par   Bien que l’idée demeure contestée, de nombreuses recherches
                 exemple, s’il comprend que la perception directe est une   indiquent que certains aspects de la théorie de l’esprit chez
                 source de savoir, il a du mal à concevoir qu’on peut connaître   l’enfant ont un caractère universel. Par exemple, des études
                 quelque chose indirectement, par inférence, c’est-à-dire par   montrent que la théorie de l’esprit se manifeste selon une
                 raisonnement logique (déduction ou induction).      séquence similaire aux États-Unis, en Chine, au Japon, en






                                                                                                    À 4 ou 5 ans,
                                                                                                    l’enfant n’a pas
                                                                                                    une compréhen-
                                                                                                    sion parfaite
                                                                                                    du point de vue
                                                                                                    d’autrui. Mais il
                                                                                                    comprend qu’une
                                                                                                    autre personne
                                                                                                    se sente triste.













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