Page 31 - L'Empreinte du temps
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Il fut le premier présent lors de l’ouverture du kiosque à journaux.
          Il acheta tous les quotidiens aussi bien régionaux que nationaux dans
          une  soif  inextinguible  d’en  savoir  un  peu  plus.  Espérant  certains
          détails permettant de l’innocenter ou plutôt de confirmer qu’il ne
          pouvait qu’être innocent. Que tout ce qui lui arrivait n’était qu’une
          gigantesque mascarade. L’idée même d’imaginer, ne serait-ce qu’une
          seule  seconde,  qu’il  s’était  comporté  comme  un  assassin  lui  était
          insupportable. Bien entendu son métier dans un abattoir de volailles
          faisait d’une certaine manière de lui un tueur permanent. Sauf qu’il y
          avait  un  abysse  entre  abattre  des  volailles  sans  âme  et  un  être
          humain.  D’aussi  loin  que  sa  mémoire  puisse  le  ramener  il  ne
          conservait aucune trace de pulsions assassines. Dans son travail son
          chef était un con, un sale con même mais s’il avait parfois rêvé de lui
          mettre son poing dans la figure, il ne lui était jamais venu à l’esprit de
          le  trucider.  Comment  dans  ces  conditions  imaginer  avoir  été
          l’exécuteur de cette femme, de cette voisine qu’il ne connaissait que
          de vue ? Il n’avait jamais eu aucun grief à son égard et leurs rares
          échanges se limitaient à bonjour et bonsoir. Il évitait d’ailleurs de la
          croiser en particulier devant son domicile car il éprouvait alors une
          forme  de  malaise, d’indisposition dont  il n’avait  jamais  compris  la
          teneur.  Un  sentiment  qu’il  n’avait  jamais  connu  ailleurs  et  qui
          persistait avec la même intensité depuis qu’il avait acheté sa maison
          trois  années  plus  tôt.  Cette  sensation  bizarre  ne  se  produisait
          toutefois, il l’avait remarqué avec le temps, que lorsque cette femme
          âgée se trouvait devant sa maison ou chez elle. Il avait eu plusieurs
          fois l’occasion de la croiser ailleurs dans la rue et même une fois au
          centre-ville  sans  que  cette  impression  malsaine  ne  se  produise.
          C’était  uniquement  la  maison  et  cette  femme  qui  généraient
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