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grégués et la censure différenciée selon les publics ; l’élite, peu nombreuse,
cherche à prouver son loyalisme et à se différencier de l’ensemble de la po-
pulation tout en prétendant la protéger. Le gouvernement ne lui fait pas
confiance pour autant et considère que les Congolais « évolués » sont moins
aptes que les Européens à juger des scénarios des films destinés aux Congo-
lais des villages . Ailleurs, l’existence d’une large gamme de salles,
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s’adressant à des publics différents et donc adaptant la programmation, pon-
dère cette revendication.
Même si la diffusion du 7 art est loin d’être généralisée, les salles
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et les films polarisent certains débats sur la société à venir, entre nécessaire
ancrage local et revendications globalisées, sur fond d’essor urbain et de
modernité aux différentes facettes. Plutôt qu’une politique maîtrisée, la cen-
sure et le dialogue par écran interposé révèlent une constante improvisation
et adaptation, sous la pression des spectateurs et des acteurs politiques. Les
autorités sont aux aguets. À leur surveillance répond la réactivité des pu-
blics. Certes, chaque séance ne se transforme pas en manifestation antico-
loniale mais tout peut rapidement basculer.
Des moments de fortes tensions jalonnent cette période, que ce soit l’im-
médiat après-guerre, porté par les espoirs des promesses et la fondation des
partis politiques, ou le milieu des années 1950, marqué par l’essor des mou-
vements revendicatifs et l’impact du nationalisme arabe et des premières
indépendances.
Confrontées aux forces de changement à l’œuvre au sein des sociétés, les
autorités tentent de freiner l’entrée dans « la modernité » et cherchent des
alliés locaux. Ce constat dépasse largement les colonies africaines et marque
d’autres espaces comme l’Inde . Partout, des alliances conjoncturelles entre
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autorités coloniales et élites locales se nouent mais elles sont fondées sur
un malentendu car la contestation qui s’exprime par le biais du cinéma est
tout autant sociale que politique.
La nation à forger renvoie bien à la prise en mains de son destin par l’avè-
nement d’institutions souveraines mais aussi au rôle des aînés, aux rapports
de genre, aux catégories statutaires…
Dans la perspective des indépendances à venir, certaines voix se font
entendre qui subvertissent radicalement le discours colonial : si les Africains
sont vraiment imperméables au langage filmique, comment expliquer qu’ils
se précipitent vers les westerns et autres films commerciaux et non vers les
fictions simplifiées produites pour eux par les organismes ad hoc ? Plutôt
que de proclamer que les Africains doivent être traités de manière particu-