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             saxophoniste Manu Dibango et bien d’autres témoins parlent du cinéma
             de leur adolescence avec enthousiasme, tout comme des spectateurs ano-
             nymes à Bouaké : On suivait les ambiances, on ne savait pas qu’on allait
             nous interroger là-dessus !  .
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             Sans en être conscients, ils font partie de la « jeunesse », qu’enquêtes so-
             ciologiques et données démographiques érigent en catégorie et pour laquelle
             une politique spécifique est formulée, en créant notamment, dans un mou-
             vement qui dépasse les colonies, une catégorie d’âge, généralement 16 ans.
             C’est officialisé au Ghana en 1952, alors que la distinction Universel/Adulte
             fonctionne en Grande-Bretagne depuis les années 1920 ; en France et dans
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             ses colonies l’interdiction aux moins de 16 ans  est un héritage du gouver-
             nement de Vichy. Ce critère ne suffit pas à définir la notion de « jeune »,
             au contenu social, culturel et d’âge très divers ou à circonscrire les pra-
             tiques.
                     Alors que les autorités se soucient de contrôle, notables et nouveaux
             élus raisonnent en fonction de la nouvelle nation à forger. Le cinéma est
             accusé d’être à l’origine de la montée de la violence et de la délinquance.
             Dès 1948, Amadou Doucouré, sénateur du Mali, se plaint de « l’influence
             néfaste sur les jeunes Africains de la projection dans les territoires d’Ou-
             tre-Mer, en particulier en AOF, de nombreux films d’aventure français ou
             étrangers » .
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                     En 1950 les Mouvements de jeunesse de Ouagadougou (Haute-
             Volta) rejoignent le discours des élus :
             « Considérant qu’un trop grand nombre de films projetés font vivre à la jeu-
             nesse du pays des scènes de brigandage, de meurtres, de rébellions, voire
             d’adultères et lui laissent croire qu’elle n’est capable que d’actes délictueux
             et de sentiments troubles […]. Soucieux de conserver au pays une jeunesse
             saine, patriotique et forte dont il aura besoin demain […] ; Remercient le
             Gouvernement pour toutes les interdictions totales ou partielles qu’il a pro-
             noncées dans le territoire de la Haute-Volta contre certains films démorali-
             sateurs » .
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                     En 1954 le Département des Affaires sociales réalise une enquête
             à Accra et Kumasi intitulé Children and the Cinema qui dénonce les aspects
             négatifs de certains films au point de préconiser l’interdiction de s’appro-
             cher des salles comme mesure de justice . La même année le Haut-com-
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             missaire de l’AOF renchérit :
             « L’opinion publique s’est, en effet, émue à juste titre de l’influence nocive
             que risquait d’avoir sur le public africain, en général, et sur la jeunesse en
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