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             conseils “techniques” sur la manière de faire triompher un mouvement in-
             surrectionnel » . C’est aussi le cas de Révolte à Sing Sing (Samuel Bi-
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             schoff), vieux film américain de 1932, interdit en 1950 car des « condamnés
             à mort de droit commun y sont présentés comme des sortes de héros » .
                                                                           65
             Certains films passent cependant à travers les mailles du filet. Ainsi Le Tigre
             de Malaisie, film italo-américain, contant l’histoire d’un sultan blanc ren-
             versé par une émeute, suscite en 1950 l’enthousiasme des spectateurs du
             Vox de Bouaké (Côte d’Ivoire), mais une vive inquiétude chez les militaires :
             «Si, pour des esprits larges et avertis, ce film, de qualité médiocre, est sans
             danger, il n’en est pas de même pour les populations autochtones locales.
             Les indigènes de Bouaké ont nettement montré, par leurs réactions au cours
             de la projection, combien ils appréciaient les scènes de massacre de soldats
             européens et ont été enthousiasmés par la victoire finale des révoltés ». 66
             Le contexte est, en effet, tendu car l’armée vient de réprimer des manifes-
             tations de soutien au RDA. En 1955, une mise en garde du même ordre est
             faite contre Tarzan défenseur de la jungle pourtant autorisé : « Cependant,
             j’appelle votre attention sur le fait que ce film, au demeurant aussi naïf et
             invraisemblable que ceux de sa série, met en scène, en pays africain et au
             contact d’une population primitive, des Européens présentés sous un jour
             défavorable » .
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                   La question des relations de genre, au cœur de la situation coloniale,
             devient éminemment sensible. Tout comportement immoral de la part d’un
             Blanc ou d’une Blanche, toute image de violence vis-à-vis des femmes « in-
             digènes » et a fortiori européennes entache la représentation des colonisa-
             teurs . Ainsi, en  1951, la commission de  censure  de  Guinée demande
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             qu’une scène de Méfiez-vous des blondes (Hunebelle, 1950) soit coupée :
              «Un tout petit passage (au début, lorsque le gangster enlève sa ceinture pour
              frapper la femme blonde) qui a soulevé quelques murmures dans la salle ». 69
                    Dans le contexte colonial, il s’agit moins de moralité que de désta-
              bilisation ; rien n’est plus pernicieux dans ce domaine que la mise en scène
               de relations interraciales. Le gouverneur du Niger dénonce ainsi l’autori-
              sation par Dakar de Plages éternelles qui présente « des scènes de boîtes
             de nuit parisiennes entre Noirs et Blanches ».
             Obligées de s’adapter aux réactions du public, les autorités s’efforcent d’éli-
             miner les réparties racistes : «Il arrive assez fréquemment, dans les salles
             de spectacles du Soudan, que des réflexions malheureuses, dans les films,
             suscitent des protestations et des mouvements divers parmi les specta- teurs
             », affirme en 1957 le gouverneur du Mali.
             Il cite deux exemples : «Auberge rouge (réflexions sur les « Sauvages »)
             [Claude Autan-Lara,  1951]  et  Rumeur  publique  [Maurizio  Corgnati,
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