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             pourrait susciter les réactions du public en contexte africain. Il faut rappeler
             que les distributeurs restreignent déjà en amont le choix des films et que,
             en Afrique occidentale, la censure est la même pour tous, Africains et Eu-
             ropéens, lettrés et analphabètes, hommes et femmes. Seule une catégorie
             d’âge est introduite.
                     L’effervescence politique implique de repenser la censure. Face aux
             films qui diffusent des images contredisant le modèle de citoyen idéal, les
             autorités prennent conscience de leur incapacité à contrôler les écrans mais
             aussi de la nécessité de prendre en compte certaines revendications, alors
             même que le cinéma touche des catégories sociales élargies, considérées
             comme plus vulnérables au pouvoir des images. Le décalage entre les textes
             légaux, les objectifs des commissions et leur application effective demeure
             important. La censure intervient souvent a posteriori, en réponse à des réac-
             tions du public, preuve d’un déficit d’anticipation comme l’ont montré les
             exemples de la Bataille du rail et de Peloton d'exécution. Cette censure,
             exercée alors que le film est déjà à l’affiche, est politiquement plus dange-
             reuse car visible : elle montre ce qu’elle veut cacher au regard des colonisés,
             elle dévoile ouvertement le pouvoir arbitraire des autorités et leur velléité
             d’empêcher l’accès à certaines images .
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               A la vision centralisatrice de l’AOF s’oppose l’autonomie en matière de
              censure de chaque colonie britannique, affirmée dès 1931. Le Ghana, pré-
               curseur dans les années 1920, reste à l’avant-garde. Après une éphémère
               tentation de fermeté en 1947, qui voit huit films interdits, la commission
               de  contrôle  cinématographique  (Cinematograph  Exhibitions  Board  of
               Control) prend vite conscience, face à l’activisme des mouvements poli-
              tiques, notamment du Convention People’s Party (CPP) de Nkrumah, de
               l’impact contre-productif d’une attitude répressive. On ne peut en même
              temps négocier la transition vers le self government et traiter les Ghanéens
              comme de grands enfants, selon la rhétorique en usage . Cette attitude ren-
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              voie à la logique générale qui intègre la façon dont : «chaque colonie se si-
              tuait sur un éventail de points de vue concernant la capacité intellectuelle
              du public local à assimiler ce qui était représenté à l'écran et à (auto-) réguler
              son comportement de manière acceptable pour les dirigeants coloniaux » .
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                     Par ailleurs, du fait de l’ancienneté de l’implantation du cinéma, il
             n’est plus question d’argumenter sur la confusion entre images et réalité
             car les spectateurs se sont dotés d’une réelle culture cinématographique, les
             outillant pour la compréhension des films. Cette nouvelle politique s’impose
             après les élections législatives de 1951 qui concrétisent la participation di-
             recte des élus au pouvoir. La Commission de censure adopte alors une atti-
             tude modérée. Ainsi, en 1955, seuls 16 films sur 869 sont interdits . Comme
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