Page 161 - Livre2_NC
P. 161

152                      FESPACO/BLACK CAMERA/INSTITUT IMAGINE 12:2

             des modèles politiques nationalistes. Des films, autrefois autorisés, sont
             censurés comme Fajr el islam car « le contexte politique a transformé notre
             point de vue » : « Ce panégyrique de l’Égypte est actuellement inopportun.
             Quant au déroulement de l’action, essentiellement religieuse, on peut y voir
             une glorification de la guerre sainte. La scène de la bataille des Mekkois
             contre les Médinois pourrait être censurée au nom de la violence » .
                                                                        30
             La volonté d’interdictions, qui se heurte aux protestations des distributeurs
             ayant déjà importé les films, constitue toutefois un chant du cygne ; elle est
             définitivement marginalisée par l’affaiblissement de la France consécutif à
             la crise de Suez .
                           31
                     Même si les films égyptiens renvoient au même continent, ils ne
             sont pas englobés spontanément dans la catégorie des « films africains »
             que réclament beaucoup de spectateurs.
             « J’attends avec impatience la naissance d’un cinéma africain, non pour y
             voir danser la valse ou évoluer des cow-boys africains, mais pour apprendre
             l’histoire réelle de mon pays, l’histoire radicalement niée par la majorité
             des historiens » .
                           32
                     Contrairement à ces vœux mais aussi aux conclusions d’enquêtes,
             comme celles réalisées au Nigéria en 1951, le désir de films reflétant des
             situations familières ne rencontre guère d’échos auprès de l’industrie du ci-
             néma ou des autorités administratives. Le cinéma colonial, présentant une
             image déformée des sociétés africaines et un message condescendant, voire
             raciste, ne répond pas à cette demande. Il vise avant tout les publics métro-
             politains et n’est, à vrai dire, guère diffusé dans les salles commerciales. 33
             Ponctuellement, certaines unités de  film  colonial  (Colonial  Film  Units,
             CFU) intègrent des techniciens locaux dans la production des films. Ces
             ouvertures sont toutefois ambigües puisque, tout en inventant des histoires
             mettant en scène des Africains, les films demeurent conçus et supervisés
             par des Européens. Il n’empêche. Le premier film de fiction, The Boy Ku-
             masenu (1952), tourné au Ghana sous la direction de Sean Graham rencon-
             tre un beau succès car les spectateurs sont heureux de voir à l’écran des
             gens qui leur ressemblent .
                                    34
                     Au Congo belge, des films sont tournés par les missionnaires, no-
             tamment l’abbé Cornil, avec des acteurs congolais, mais ils véhiculent les
             préjugés ambiants, au point qu’il est inconcevable d’en projeter certains en
             Belgique car « ils seraient de nature à accréditer la légende tenace de la stu-
             pidité et de la malhonnêteté congénitale de la race congolaise », et ils cho-
             queraient des populations « évoluant ou évoluées, qui y [verraient] une
             charge à l’adresse de la race noire tout entière » . A l’opposé, le Groupe-
                                                        35
   156   157   158   159   160   161   162   163   164   165   166