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Odile Goerg / La génération des indépendances                159

         jours le parallèle entre les Africains, ces « grands enfants », et les mineurs,
         devant être protégés. Cette idée est exprimée avec force au Congo belge en
         1954 : « Plusieurs membres marquent leur approbation de la tendance qui
         anime  le projet  :  le renforcement de la  sévérité  dans la réglementation
         concernant les représentations pour indigènes et pour les non-adultes. […]
         Des films qui conviennent aux adultes de la métropole peuvent avoir une
         influence fâcheuse sur les indigènes non évolués, incapables de mesurer la
         part de fiction qu’ils contiennent ». 59
                 Quelles sont les obsessions en ces fins d’Empire ? Des études ont
          montré comment les écrans cherchent à façonner les comportements des
          spectateurs et analyser l’impact des films historiques sur les représentations
          de soi et les contestations, notamment en Inde où se côtoie production étran-
         gère et nationale . Les témoins interrogés n’ont, eux, pas grand souvenir
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          de la censure. Le paradoxe n’est qu’apparent car, on l’a vu, un tri est effec-
         tué avant même l’arrivée des films dans les colonies, ce qui laisse filtrer
         peu d’images potentiellement  subversives . Par ailleurs, les projections
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          sont souvent interrompues du fait de la mauvaise qualité des bobines: Com-
          ment faire alors la part des choses entre de mauvais raccords liés aux coupes
         opérées par la censure et les multiples accrocs techniques? Dans ces condi-
         tions, seuls les spectateurs ayant déjà vu le film ou ayant connaissance de
         sa sortie en métropole peuvent avoir conscience de la censure locale. Rares
         sont donc ceux qui s’expriment à ce sujet, tel ce Sénégalais qui mentionne
         Les Statues meurent aussi, film de Chris Marker et Alain Resnais, sorti
         en 1953. Il fut effectivement interdit, dans les colonies comme en France,
         tout comme Afrique 50 de René Vautier.


                 Les censeurs oscillent entre la naïveté qu’ils prêtent au public et la
         conscience que les réparties racistes ou certaines scènes génèrent désormais
         de vives réactions. Les consignes restent cependant floues : « nous n’avons
          pas de normes claires », affirme K. W. Blackburne, directeur du service
          de l’information au Ministère des colonies en 1948 . Comme auparavant,
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          on pointe l’incitation au crime ou à la violence et on surveille la morale
          sexuelle. Ce sont les priorités au Ghana, contrairement aux colonies de peu-
         plement comme le Kenya qui craignent avant tout les tensions raciales. On
         dénonce aussi les films légitimant les révoltes. Ainsi, parmi les films cen-
         surés en AOF, figurent La Révolte des Cipayes (1957) , La Révolte de la
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          cellule 11 [John Huston 1949], Les Insurgés, Du Rififi chez les Hommes,
          Révolte  au  Mexique  (1956). Ce dernier film « traite d’une  insurrection
          contre  l’ordre  établi  et  fournira  aux  “amateurs”  pas  mal  d’idées  et  de
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