Page 168 - Livre2_NC
P. 168
Odile Goerg / La génération des indépendances 159
jours le parallèle entre les Africains, ces « grands enfants », et les mineurs,
devant être protégés. Cette idée est exprimée avec force au Congo belge en
1954 : « Plusieurs membres marquent leur approbation de la tendance qui
anime le projet : le renforcement de la sévérité dans la réglementation
concernant les représentations pour indigènes et pour les non-adultes. […]
Des films qui conviennent aux adultes de la métropole peuvent avoir une
influence fâcheuse sur les indigènes non évolués, incapables de mesurer la
part de fiction qu’ils contiennent ». 59
Quelles sont les obsessions en ces fins d’Empire ? Des études ont
montré comment les écrans cherchent à façonner les comportements des
spectateurs et analyser l’impact des films historiques sur les représentations
de soi et les contestations, notamment en Inde où se côtoie production étran-
gère et nationale . Les témoins interrogés n’ont, eux, pas grand souvenir
60
de la censure. Le paradoxe n’est qu’apparent car, on l’a vu, un tri est effec-
tué avant même l’arrivée des films dans les colonies, ce qui laisse filtrer
peu d’images potentiellement subversives . Par ailleurs, les projections
61
sont souvent interrompues du fait de la mauvaise qualité des bobines: Com-
ment faire alors la part des choses entre de mauvais raccords liés aux coupes
opérées par la censure et les multiples accrocs techniques? Dans ces condi-
tions, seuls les spectateurs ayant déjà vu le film ou ayant connaissance de
sa sortie en métropole peuvent avoir conscience de la censure locale. Rares
sont donc ceux qui s’expriment à ce sujet, tel ce Sénégalais qui mentionne
Les Statues meurent aussi, film de Chris Marker et Alain Resnais, sorti
en 1953. Il fut effectivement interdit, dans les colonies comme en France,
tout comme Afrique 50 de René Vautier.
Les censeurs oscillent entre la naïveté qu’ils prêtent au public et la
conscience que les réparties racistes ou certaines scènes génèrent désormais
de vives réactions. Les consignes restent cependant floues : « nous n’avons
pas de normes claires », affirme K. W. Blackburne, directeur du service
de l’information au Ministère des colonies en 1948 . Comme auparavant,
62
on pointe l’incitation au crime ou à la violence et on surveille la morale
sexuelle. Ce sont les priorités au Ghana, contrairement aux colonies de peu-
plement comme le Kenya qui craignent avant tout les tensions raciales. On
dénonce aussi les films légitimant les révoltes. Ainsi, parmi les films cen-
surés en AOF, figurent La Révolte des Cipayes (1957) , La Révolte de la
63
cellule 11 [John Huston 1949], Les Insurgés, Du Rififi chez les Hommes,
Révolte au Mexique (1956). Ce dernier film « traite d’une insurrection
contre l’ordre établi et fournira aux “amateurs” pas mal d’idées et de