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Sada Niang / La FEPACI et son héritage                       209

          promotion de valeurs « à moitié digérées » de la classe moyenne occiden-
          tale, s'est imposée. Les cinéastes délégués ont fait valoir que, pour favoriser
          leurs propres intérêts économiques, les colonialistes européens ont mis en
          place dans ces colonies des « infrastructures économiques et sociales » qui
          ne correspondaient pas aux besoins réels des peuples [assujettis] .
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                 Quand aux analyses d'Albert Memmi et plus tard de Ngugi Wa
         Thiong'o, ils ont dénoncé la pratique omniprésente sur le continent africain
         consistant à « accorder », « négocier » ou « évoluer vers » l'indépendance.
         La version finale de leurs résolutions stipule que ces pratiques ne sont rien
         d'autre que des « prétextes d'autonomie » frauduleusement établis afin de
         préserver les « intérêts exclusifs des pays métropolitains  ». Dans de telles
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          circonstances, ils suggèrent également que l'avenir des pays d'Afrique et
          d'Amérique latine n'est que trop prévisible : le « pillage systématique de
         leurs ressources » les laissera « appauvris », « sous-développés » et sous
          « l'influence et les pressions » constantes de leurs anciens dominateurs co-
          loniaux. En bref, ce qui caractérisait tous les pays représentés au sein de
          cette commission, ce qui justifiait l'adoption de l'étiquette « tiers-monde »,
         c'était  une domination  et  une dépendance  totales des pays d'Afrique et
         d'Amérique latine vis-à-vis de leurs anciennes puissances coloniales et de
         leurs alliés.

                 Le document de résolution expose ensuite les conséquences éco-
         nomiques et sociales de cet état de fait, mais par souci de concision, nous
         nous limiterons aux effets culturels de cette situation. L'un des premiers
         maux que les réalisateurs ont identifié et tenté de combattre est ce qu'ils ont
         perçu comme une menace pour l'authenticité. La domination et la dépen-
         dance, selon Marbah et les membres de son comité, engendrent la « dé-
         culturation » et ouvrent la voie à l’« acculturation » en imposant un vide
         culturel où des sujets humains à part entière pratiquent et renouvellent des
         cultures autrefois dynamiques :
            Cette déculturation consiste à dépersonnaliser les peuples, à discréditer leur
            culture en la présentant comme inférieure et inopérante, à bloquer leur déve-
            loppement spécifique et à défigurer leur histoire… En d'autres termes, créer un
            vide réel favorable à un processus simultané d'acculturation par lequel le do-
            minateur s'efforce de rendre sa domination légitime, en introduisant ses propres
            valeurs morales, ses schémas de vie et de pensée, son explication de l'histoire
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            : en un mot sa culture  .

                 Les cinéastes ont suggéré qu'il était du devoir du cinéma, en fait
          des artistes du tiers monde, de contrer ces maux d'origine étrangère. Il fallait
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