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Sada Niang / La FEPACI et son héritage                       211

          et au cinéma des vainqueurs. Solanas et Getino ont défendu un programme
          similaire pour le cinéaste du tiers monde.


            L'homme du Troisième Cinéma avant tout, oppose à l'industrie cinématogra-
            phique un cinéma de personnages à un cinéma de thèmes, un cinéma d'individus
            à un cinéma de masses, un cinéma d'auteur à un cinéma de groupe opérationnel,
            un cinéma de désinformation néocoloniale à un cinéma d'information, un ci-
            néma de fuite à un cinéma qui reprend la vérité, un cinéma de passivité à un ci-
            néma d'agression  et a  un  cinéma institutionnalisé.  Il  oppose un  cinéma de
            guérilla; au cinéma spectacle, il oppose un cinéma acte ou action; à un cinéma
            de destruction, un cinéma à la fois destructeur et constructif à un cinéma fait
            de l'ancien type d'être humain, pour eux, il oppose un cinéma fait pour un nou-
            veau type d'être humain, pour ce que chacun de nous a la possibilité de devenir
            51 . (souligné dans l'original).

                 Sur un ton qui rappelle les travaux de Wittgenstein ou de Paulo
          Freire, il a été affirmé que le film était et devait rester un outil pédagogique.
         Sa pratique n'a d'impact significatif sur ses spectateurs que si elle permet
         un regard critique sur la vie quotidienne et les luttes de ses spectateurs. Le
         langage cinématographique et la narration, les dialogues, la musique et les
         costumes doivent refléter la situation extérieure au film. Tous ces éléments
         constituent un pont, un argument soutenant la possibilité d'agir sur les per-
         sonnes, les processus sociaux et les conditions sociales. Ces principes se
         retrouveront dans la Charte de la FEPACI adoptée en 1975, au début d'une
         réunion tenue à Alger.

                 Pourtant, au moment de la création de la FEPACI en 1970, tous les
         grands films africains pionniers avaient déjà été réalisés. La décolonisation
         du continent était bien engagée et un langage cinématographique spécifi-
         quement orienté vers un spectateur africain avait déjà été tenté. Trois films
         expérimentaux sont apparus entre 1954 et 1955. Parmi eux, Mouramani de
         Mamadi Touré est le plus connu, mais dès 1954, le réalisateur sénégalo-
         béninois Paulin Soumanou Vieyra avait produit deux films se déroulant
         en France, c'était il y a quatre ans (1954) et Afrique sur Seine (1955). Ces
         deux films racontaient avec des accents lyriques et un style nouvelle vague
         les années d'indépendance. Ce dernier film se concentre sur le paris des au-
         tres racisés (Noirs, africains, antillais, asiatiques) dans les années 1950.
         Tourné principalement dans les grandes avenues parisiennes, Afrique sur
         Seine plaide timidement pour une appropriation des espaces métropolitains
         par les dandys subalternes africains, noirs, asiatiques et blancs. La narration
         est en français parisien; les espaces décrits sont ceux de la « ville lumière »,
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