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216 FESPACO/BLACK CAMERA/INSTITUT IMAGINE 12:2
Au Maghreb, Tazi Ben Abdelouahed Mohamed a défendu une esthétique
cinématographique similaire à celle de Béni. Diplômé de l'Université,
Mohamed s'était spécialisé dans l'utilisation des équipements audiovisuels
en classe. Il a ensuite rejoint l'IDHEC (Institut des Hautes Etudes
Cinémato- graphiques) avant de prendre un poste au Centre du Cinéma
Marocain. Son film Vaincre pour vivre (1968) a été salué comme le film qui
allait inaugurer une nouvelle esthétique pour le cinéma africain; pourtant, il
n'a fini par alié- ner les cinéastes africains qu'aux Journées
cinématographiques de Carthage en 1970. À plus d'un titre, le film a
fonctionné sur un contre-modèle narratif principal, inversant le voyage de
la campagne à la ville de films tels que Borom sarret. Il incorpore des
aspects du genre gangster et thriller, et offre à son public des chansons
délicieuses interprétées par le personnage prin- cipal : Abdelwahab
Doukkali. Le film a été rejeté comme étant un film d'évasion, superficiel,
exploitant les sens des masses urbaines plutôt que de les éclairer, une fois
de plus.
La connexion latino-américaine, le développement du cinéma sur
le continent du début des années 50 au milieu des années 70, l'impact négatif
du facteur Béni au Cameroun, et peut-être la crainte d'un mercantilisme
rampant comme l'illustre Vaincre pour Vivre de Tazi: tous ces facteurs se
sont combinés pour radicaliser les positions des nouveaux membres de la
FEPACI et aboutir en 1975 à l'adoption d'une Charte qui, à bien des égards,
est une déclaration idéologique. Faisant écho à la déclaration des cinéastes
du tiers monde à Alger, la charte de la FEPACI adopte une position plus
nationaliste, mais aussi plus subjective. Tout au long du document, le pro-
nom de solidarité (nous) et ses variantes grammaticales sont utilisés pour
signifier la nécessaire appartenance du cinéaste à la communauté locale .
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Comme dans la déclaration de leurs prédécesseurs, le colonialisme
et la fabrication d'images coloniales constituent le fond sur lequel le nou-
veau cinéma africain doit se définir. Césaire, Fanon et Memmi, Marx, les
révolutions chinoise et cubaine fournissent des exemples historiques dis-
cursifs et réels. Ainsi, la Charte affirme avec audace que le colonialisme
n'est pas une entreprise humaniste mais une conquête, dictée par les impé-
ratifs économiques occidentaux, qui a assujetti, dévalorisé et maintenu dans
la pauvreté des peuples de races, de langues et de coutumes diverses:
La colonisation n'est pas un humanisme, mais une invasion violente et brutale
dans laquelle des groupes entiers de personnes sont tués, mutilés, emprisonnés
et torturés. La pérennisation d'un tel système est basé sur des mesures et des
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décisions fondées sur la tromperie .