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             Au Maghreb, Tazi Ben Abdelouahed Mohamed a défendu une esthétique
             cinématographique  similaire  à  celle  de  Béni.  Diplômé  de  l'Université,
             Mohamed s'était spécialisé dans l'utilisation des équipements audiovisuels
             en  classe. Il a  ensuite  rejoint l'IDHEC (Institut  des Hautes  Etudes
             Cinémato-  graphiques) avant de prendre un poste au Centre du Cinéma
             Marocain. Son film Vaincre pour vivre (1968) a été salué comme le film qui
             allait inaugurer une nouvelle esthétique pour le cinéma africain; pourtant, il
             n'a  fini  par  alié-  ner  les  cinéastes  africains  qu'aux  Journées
             cinématographiques  de  Carthage  en  1970.  À  plus  d'un  titre,  le  film  a
              fonctionné sur un contre-modèle narratif principal, inversant le voyage de
             la campagne à la ville de films tels que  Borom sarret. Il incorpore des
             aspects du genre gangster et thriller, et offre  à son  public des chansons
             délicieuses  interprétées  par  le personnage prin-  cipal :  Abdelwahab
             Doukkali. Le film a été rejeté comme étant un film d'évasion, superficiel,
             exploitant les sens des masses urbaines plutôt que de les éclairer, une fois
             de plus.
                     La connexion latino-américaine, le développement du cinéma sur
             le continent du début des années 50 au milieu des années 70, l'impact négatif
              du facteur Béni au Cameroun, et peut-être la crainte d'un mercantilisme
              rampant comme l'illustre Vaincre pour Vivre de Tazi: tous ces facteurs se
              sont combinés pour radicaliser les positions des nouveaux membres de la
              FEPACI et aboutir en 1975 à l'adoption d'une Charte qui, à bien des égards,
              est une déclaration idéologique. Faisant écho à la déclaration des cinéastes
              du tiers monde à Alger, la charte de la FEPACI adopte une position plus
              nationaliste, mais aussi plus subjective. Tout au long du document, le pro-
              nom de solidarité (nous) et ses variantes grammaticales sont utilisés pour
              signifier la nécessaire appartenance du cinéaste à la communauté locale  .
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                     Comme dans la déclaration de leurs prédécesseurs, le colonialisme
             et la fabrication d'images coloniales constituent le fond sur lequel le nou-
             veau cinéma africain doit se définir. Césaire, Fanon et Memmi, Marx, les
             révolutions chinoise et cubaine fournissent des exemples historiques dis-
             cursifs et réels. Ainsi, la Charte affirme avec audace que le colonialisme
             n'est pas une entreprise humaniste mais une conquête, dictée par les impé-
             ratifs économiques occidentaux, qui a assujetti, dévalorisé et maintenu dans
             la pauvreté des peuples de races, de langues et de coutumes diverses:
                 La colonisation n'est pas un humanisme, mais une invasion violente et brutale
                dans laquelle des groupes entiers de personnes sont tués, mutilés, emprisonnés
                et torturés. La pérennisation d'un tel système est basé sur des mesures et des
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                décisions fondées sur la tromperie  .
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