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             avec ses monuments, ses boulevards, ses cafés, ses boîtes de nuit et ses res-
             taurants. Sept ans vont s'écouler  avant qu'un nouveau film n'apparaisse.
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             En 1962, Mustapha Alassane produit Aouré, une histoire d'amour entre
             un homme (Garba) et une femme (Mariam). Leur union devient le prétexte
             à une exposition de la force des coutumes traditionnelles et du sens du ma-
             riage dans les sociétés africaines. En 1963, Ousmane Sembène innove avec
             son  film pionnier  Borom  Sarret. Le film est  une brève  description des
             tribulations d'un charretier parcourant les rues d'une nouvelle capitale pour
             gagner un maigre revenu pour lui, sa femme et son bébé. Borom Sarret
             définit non seulement les espaces dans lesquels se dérouleront la plupart
             des récits de la première génération de cinéastes africains, les types de
             person- nages qu'ils mettent en scène (anciens paysans, nouvellement élevés
             au rang de citoyens), mais aussi la vision du monde et le didactisme qui les
             sous-  tendent.  Situé dans  l'Afrique postcoloniale, le film  délimite les
             frontières idéologiques de l'espace dans les anciennes colonies africaines
             françaises  et britanniques. Enfin, Borom Sarret est, comme de nombreux
             critiques l'ont déjà fait remarquer, le premier film africain dans lequel un
             homme noir africain est présenté comme un personnage principal traçant sa
             propre  destinée, bien  qu'incertaine,  contre  les  pratiques  d'exclusion,  la
             corruption et la nature répressive de l'État néocolonial.

                     Aujourd'hui, le rôle des tirailleurs sénégalais pendant la Seconde
             Guerre Mondiale fait l'objet de films, de pièces de théâtre et de débats po-
             litiques. Mais la mémoire de la Seconde Guerre Mondiale a nourri la créa-
             tion des cinéastes africains dès les années 1960. On se souvient que dans
             Borom Sarret, la confiscation de la charrette de Modou par un policier est
             d'autant plus douloureuse qu'il est également privé de sa décoration d'ancien
             combattant de la Seconde Guerre Mondiale. Pris entre l'amnésie officielle
             de l'ancienne métropole et les trahisons des promesses nationalistes, Modou
             termine sa journée de travail en homme déprimé, en colère et impuissant.
             Sa situation se transforme en désespoir lorsque, en entrant dans sa conces-
             sion, sa femme lui remet le bébé et, d'une manière qui suggère le rejet de
             toute retenue féminine traditionnelle, sort en promettant de revenir avec de
             la nourriture pour la famille. La même année, Momar Thiam reprend le
             thème du fantassin sénégalais. Son Sarzan (1963) se concentre sur les effets
             sociaux et psychologiques de la guerre sur un homme connu uniquement
             sous le nom de Sarzan (Sergent, Sargent). Le protagoniste est victime d'une
             maladie mentale et se retrouve à arpenter les rues de son ancien village.
             Il parle avec colère des vieux discours coloniaux racistes sur les « nègres »,
             jette des pierres sur des ennemis imaginaires, vise des cibles imaginaires,
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