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             créer des films qui mettent en avant les connaissances des populations lo-
             cales et leurs valeurs culturelles ancestrales plutôt que celles imposées par
             le « canon du fusil ». Il fallait élaborer des récits qui mettent en évidence la
             « cohésion interne des sociétés décrites », montrer les espaces comme le
             contexte naturel de ces cultures, présenter les personnages comme des pro-
             duits de ces cultures. Par-dessus tout, le film devait être didactique:
                Le rôle du cinéma, dans ce processus, consiste à produire des films reflétant
                les conditions objectives dans lesquelles se développent les peuples en lutte,
                c'est-à-dire, des films qui entraînent la désaliénation des peuples colonisés en
                même temps qu'ils apportent une information saine et objective aux peuples du
                monde entier, y compris aux classes opprimées des pays colonisateurs  .
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                     Dans cette perspective, le cinéaste devient un créateur/enseignant
             artistique qui utilise les ressources culturelles de son groupe pour favoriser
             le dépassement de l'aliénation politique et culturelle. Il est avant tout un
             membre de cette communauté, mais doté de connaissances historiques, de
             capacités d'analyse et d'une vision de l'avenir de ses concitoyens. Ici, tout
             comme dans le cas de Fernando Birri, de Sanjinés et des membres de
             l'école Ukamau, le film est avant tout un outil de communication. C'est un
             instrument pédagogique mis au service de l'élévation politique et écono-
             mique des hommes et des femmes « aliénés », « dépossédés » et « réifiés »
             de la communauté du cinéaste. Son œuvre doit dépeindre la vie sous toutes
             ses facettes, mettre en scène des personnages crédibles, refléter les condi-
             tions de vie quotidiennes des pauvres et des dépossédés et faire preuve d'une
             force de persuasion qui amènera les hommes et les femmes sans méfiance
             vers le social. En fait, les cinéastes deviennent des « facilitateurs », des
             éducateurs politiques et des artistes dont le souci primordial est la réécriture
             de l'histoire sociale de la communauté. Le cinéaste, l’idéal de la FEPACI,
             est entré dans l'histoire en renforçant, par ses créations l'action des hommes
             et des femmes de son public.
                La tâche du cinéaste du tiers-monde devient ainsi encore plus importante et im-
                plique que la lutte menée par le cinéma pour l'indépendance, la liberté et le pro-
                grès, doit aller de pair avec la lutte à l'intérieur et à l'extérieur du cinéma, mais
                toujours en alliance avec les masses populaires pour le triomphe des idées de
                liberté et de progrès  .
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                     L'intertextualité entre la Charte de la FEPACI, l'ouvrage de Solanas
             et Getino « Vers un troisième cinéma » et le livre de Sanjinés « Teoría y
             práctica de un cine junto al pueblo » publié six ans plus tard est frappante:
             il désigne un projet commun, partagé de part et d'autre dans l'Atlantique
             par des cinéastes africains et latino-américains, face à une histoire de défaite
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