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Sada Niang / La FEPACI et son héritage 217
Dans certaines parties du continent, tout comme en Asie et en Amé-
rique latine, la pauvreté a été aggravée par la confiscation systématique des
terres fertiles, des cultures riches et même de la main-d'œuvre. La Charte
met en évidence deux types de colonisation, l'une consistant en l'occupation,
le cloisonnement de l'espace « indigène » par la violence, le silence et la
tromperie, l'autre, plus insidieuse et dommageable, visant à diminuer les
cultures locales par un discours réducteur. Ici comme dans les écrits de
Fanon et de Césaire, la violence, la tromperie et la dépossession sont les
caractéristiques les plus marquantes des deux types de domination colo-
niale. Ces incursions, précise encore la Charte, sont généralement suivies
d'une « injection massive de sous-produits culturels poussés sur les marchés
africains pour une consommation passive ».
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En bref, le préambule de la Charte affirme clairement que le colo-
nialisme et le néocolonialisme sont principalement réalisés par l'intermé-
diaire d'images et que c'est en contrant ces images que la libération des
masses africaines devrait également s'effectuer. Le rôle du cinéma dans ce
projet est d'agir comme un outil contre « la déracination et la décultura-
tion », et pour le cinéaste de fonctionner comme un thérapeute, un ensei-
gnant, indépendamment de toute considération économique. Il est un
créateur parmi d'autres créateurs dont il dépend pour son langage cinéma-
tographique. Il est appelé à utiliser les valeurs culturelles fonctionnelles du
groupe, ses codes sémiotiques, ses modes de résistance à la domination,
pour créer des images favorisant un regard critique sur sa propre situation
politique. Comme le cinéaste du tiers-monde, il est avant tout un enseignant
doté d'une capacité d'analyse, suffisamment créatif pour tisser une argu-
mentation dans le tissu culturel de sa communauté, et suffisamment sensible
pour intégrer cette argumentation dans les multiples couches d'un langage
cinématographique composite. Idéalement, il ou elle enseigne par empathie
afin de préparer le terrain pour le changement social. Med Hondo, Sem-
bène et Souleymane Cissé ont adopté cette approche tout au long des an-
nées 1970 et 1980. Dans Caméra d'Afrique par exemple, Hondo soutient
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avec éloquence qu'un peuple qui ne peut pas voir ses propres images reflé-
tées dans les produits créatifs de ses artistes, qui ne peut pas voir ses arte-
facts, ses costumes et ses habitations ou entendre ses langues sur scène ou
à l'écran pourrait perdre confiance en sa créativité et en sa valeur person-
nelle. Lors d'une discussion avec Jean Rouch, Sembène s'est plaint que la
tendance anthropologique du cinéma colonial était de dépeindre les africains
comme des « insectes ». En fait, le cinéma des cinéastes africains nationa-
listes aura pour principaux objectifs le développement des personnages, la