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création d'un langage cinématographique « spécifique » et les efforts pour
définir les identités africaines . Quoi qu'il en soit, la Charte de la FEPACI
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était un document défectueux dès le départ.
Elle était imparfaite car, à l'instar de la résolution des cinéastes du
tiers-monde signée deux ans plus tôt, elle supposait que les peuples sous
domination coloniale ingurgitaient passivement les artefacts culturels mé-
tropolitains qui leur étaient imposés. Elle supposait que l'imposition de la
Bible, par exemple, était facilement acceptée par les africains, que la sco-
larisation et l'imposition de la langue française étaient volontairement et in-
consciemment acceptées par les « indigènes ». En fait, Achille Mbembe,
dans La naissance du maquis dans le Sud Cameroun 1920-1960 (1996), a
soutenu que, dans le cas du Cameroun, l'adoption de la foi chrétienne pou-
vait être interprétée comme un moyen de négocier son statut social dans la
société coloniale, que l'adoption apparemment facile du maniérisme et des
signes diacritiques français par certains membres de la classe d'affaires afri-
caine, pouvait également être réinterprétée comme un argument de survie
dans un contexte violemment manichéen. La critique par Clarisse Zimra
de la relecture par Fanon de l'histoire de Mayotte Capecia, la relecture par
Homi Bhabha de Fanon, tout converge pour souligner que tout ce que les
colonisateurs ont imposé, les colonisés l'ont renégocié et adopté selon leurs
propres termes. On pourrait même suggérer que les mécanismes de résis-
tance et d'autodéfinition ainsi suscités dans les années 1980 par les cher-
cheurs cités ci-dessus, se retrouvent également dans la critique du Code
Noir par Louis Sala-molins. Dans son ouvrage de référence Postnationalist
African Cinema (2011), Alexie Tcheuyap soutient en outre que la Charte
échoue sur le plan esthétique parce qu'elle réduit la pratique cinématogra-
phique sur le continent à un outil d'enseignement, ce qui va à l'encontre de
sa fonction de divertissement.
La Charte de la FEPACI a également échoué dans son ablation du
cinéma en Afrique de son contexte économique. Alors que la Charte décla-
rait en 1975 que « la question du profit commercial ne peut être un critère
pour les cinéastes africains », un groupe dissident de cinéastes africains,
réuni sept ans plus tard à Niamey, déclarait que:
« la question du profit commercial ne peut être un critère pour les cinéastes
africains ». La viabilité de la production cinématographique est étroitement liée
à la viabilité complémentaire des quatre autres secteurs principaux du cinéma,
à savoir, l'exploitation des salles de cinéma, l'importation de films, la distribu-
tion de films, l'infrastructure technique et la formation .
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