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Sada Niang / La FEPACI et son héritage                       223

          dans Paris  des années  1970, dans une  atmosphère qui rappelle  celle
          d'Afrique sur Seine (1955) de Vieyra. Mais ici, la race et le pouvoir fonc-
          tionnent en tandem pour déterminer les rôles des sexes. Les hommes blancs
          riches utilisent leur statut économique pour attirer les femmes noires mi-
          grantes en difficulté dans des relations sexuelles ou pour « convaincre » les
          maris de prostituer leurs femmes. S'inspirant d’Afrique sur Seine (1955) de
          Paulin Vieyra, A nous deux France (1970) est un film mélodramatique qui
          déplore le sort des fils et des filles du continent dans une terre blanche sèche
          et morne. La phrase de Senghor « Femme noire, femme nue » est récitée
          au milieu du film, soulignant la solitude non seulement des femmes noires
          et blanches mais aussi de leurs partenaires.

                 Le film est plusieurs choses à la fois: Les deux chapitres classiques
         de Peau noire, masques blancs de Fanon, « L'homme blanc et la femme
         noire » et « L'homme noir et la femme blanche », une version légèrement
         modifiée du récit d'Edward Kamau Barthwaite sur les tournées de plan-
         tations des surveillants blancs en Jamaïque aux XVIIe et XVIIIe siècles et
         une version banale de L'Aventure ambigue de Cheikh Hamidou Kane. Ce
         qui est important au-delà de la simple caractérisation du cinéma nationa-
         liste… c'est que l'examen de ces « classiques africains » montre que ces
         cinéastes se sont appuyés sur les récits et les styles de leurs prédécesseurs,
         ont parfois tissé une intertextualité au sein des textes littéraires; que l'évo-
         lution du cinéma africain ne s'est pas faite d'un seul coup, mais a progressé
         le long d'un continuum. Les moments dominants ont façonné la nature, le
         contenu et l'esthétique de ce continuum, mais ces moments ont également
         eu tendance à faire obstacle aux tentatives véritablement créatives d'artistes
         qui n'entraient pas dans le moule, dont l'intention était de créer en dehors
         des modes nationalistes et réalistes étroits, et dont les œuvres sont restées
         marginales dans un domaine déjà marginalisé. Parmi ceux-ci figurent Dji-
         bril Mambéty Diop, Momar Thiam et Moustapha Alassane. Tous trois
         situent leurs films dans la ville et puisent dans la source des genres popu-
         laires tels que le gangster, les westerns, les thrillers, et s'inspirent également
         des films de la nouvelle vague française. Ces films divertissent autant qu'ils
         instruisent et condamnent les sociétés corrompues dont une grande partie
         des nouveaux citoyens sont livrés à eux-mêmes et englués dans une pau-
         vreté abjecte. Le jeu, la parodie et l'ironie encadrent ces récits.
                 Les chapitres suivants soutiennent qu'en dépit des déclarations vi-
                                    73
          trioliques contre le cinéma occidental, la pratique cinématographique afri-
          caine ne s'est jamais située en dehors des principaux genres et écoles du
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