Page 231 - Livre2_NC
P. 231

222                      FESPACO/BLACK CAMERA/INSTITUT IMAGINE 12:2

             de la flore africaine, à l'intérieur de huttes de terre construites en fonction
             du climat, un groupe d'hommes rend visite à une famille afin de contracter
             un mariage entre deux amoureux. L'échange de la dot et l'annonce formelle
             ultérieure faite par le père à la mariée délimitent les rôles de genre; le po-
             sitionnement spatial de chaque personnage en fonction de l'âge et du rang
             suggère une délicate hiérarchie de statut dans cette société. Le port de cos-
             tumes spéciaux, les chants de louange des griots, le regroupement des par-
             ticipants en fonction du sexe et de la génération sont autant de signes de
             traditions  établies  de longue date. Le  sentiment  d'ordre qui  en résulte
             contraste fortement avec les discours nihilistes de la littérature de voyage
             coloniale.  De même, La Bague du roi Koda (1962) d'Alassane, produit la
             même année qu'Aouré (1962), raconte une histoire traditionnelle de pouvoir
             et de cupidité, de trahison et de pardon qui résonne encore dans les produc-
             tions africaines récentes. Fâché par le refus d'un pêcheur de vendre sa prise
             quotidienne à un prix réduit, un roi complote avec la femme du pauvre
             homme pour le faire tuer. Après beaucoup de désespoir, le pêcheur découvre
             le complot et survit à la menace mortelle du roi, pour découvrir que le mo-
             narque prévoyait également d'épouser sa propre femme après son exécution
             « prévue ». La Bague du roi Koda annonce des films comme Laafi (1991)
             et Guimba, le tyran (1995), peut-être même Mandabi (1968) de Sembène
             et Chef (1997) de Jean Marie Téno. Dans les deux films d'Alassane, les
             espaces, les langues et les coutumes africains sont mis en valeur. De même,
             des  personnages  africains  sont  mis en scène, annonçant  le très  célèbre
             Borom sarret (1963) un an plus tard. La Fleur de sang (1966) d'urbain
             Makhouri Dia et Boubou Cravate (1972) de Daniel Kamwa explorent des
             thèmes similaires avec des caractéristiques esthétiques proches.Tous deux
             traitent de ce que la critique cinématographique et littéraire des années 1970
             appelait habituellement la « crise d'identité ». Le personnage africain qu'ils
             dépeignent, un homme dans les deux cas, est incapable de concilier les as-
             pects doubles, apparemment contradictoires, de son identité. La crise atteint
             un stade d'ébullition dans le film de Dia, mais dans les deux créations, on
             peut également discerner l'influence de Fanon mêlée à la théorie de la li-
             bération et à des courants du nouveau cinéma latino-américain. Le dilemme
             auquel sont confrontés les personnages des deux films est encore plus dra-
             matisé dans le célèbre film de Hondo,
             Les Bicots noirs, vos voisins (1973). La partition musicale de A nous deux
             France (1970) de Désiré Ecaré met en évidence les liens entre l'esclavage
             transatlantique et l'expérience des migrants en France. Une quinzaine d'an-
             nées plus tard, Sembène reprendra cette pratique dans Ceddo (1977) et
             Camp de Thiaroye (1988). A nous deux France (1970) d'Ecaré se déroule
   226   227   228   229   230   231   232   233   234   235   236