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Esiaba Irobi / Le discours cinématographique  africain       319

                 Les exemples incluent la tradition Uri des Igbos, l'Ijele des Igbos,
          les traditions de performance Gelede ou Oriki des Yorubas, les masques de
          bronze des Binis ou Ekong des Ibibios, la chorégraphie Kete des Ashanti,
          le Halo des Ewe, le théâtre Nnommo des Dogons du Mali, les métalangages
         cultuels Kora des Bambara, les diagrammes rituels cosmiques des Bakongo
          du Congo et la philosophie artistique Ki-Yi M'Bock des Bassas du Came-
          roun.
                 Un examen attentif de ces traditions et formes d'art africaines, ainsi
          que d'autres, dans lesquelles le cinéma en Afrique puise de plus en plus
          pour son iconologie, révèle que ces sources pré-modernes incarnent, dans
          leur achèvement et leur existence même, la preuve d'une base théorique in-
          digène, précoloniale,  sur laquelle  les  communautés  et les sociétés  ont
          construit leurs négociations d'une modernité culturelle africaine et d'une
          post-colonialité avec ses expériences, formes et sémiologies hybrides.


                 Nous devons donc nous demander :
          A quel moment une théorie devient-elle une théorie ?
          Est-ce lorsqu'elle est pensée dans le cerveau, comme un produit de l'esprit ?
          Ou lorsqu'elle est exécutée, devenue processus expressif ou le produit de
          l'intelligence, littérature, iconographique, proxémique, kinesthésique, so-
          nore, sartoriale, olfactive, calligraphique d'une culture ?
          Ou est-ce lorsqu'elle est écrite en prose, en caractères d'imprimerie ou à
          l'encre, le résidu d'un mode d'expression et d'un mode de discours typogra-
         phique et logocentrique?
         À quel moment une théorie devient-elle une théorie?
          N'est-il pas possible que la théorie choisisse de faire son apparition dans
         les cultures non occidentales du monde autrement dit, sous d'autres formes
         que l'écriture typographique, en raison des différences d'ontologie, de télé-
         ologie, de sémiologie, de stratégies narratologiques pour les arts visuels,
         plastiques et performatifs ?


                 La tendance à refuser aux cultures africaines indigènes et modernes
         la capacité de théorie a un antécédent historique; découle du désir culturel,
         économique et intellectuel de l'europe et, en fait, de l'occident, de détruire,
         de déstabiliser, de minimiser et, par conséquent, de dominer d'autres cul-
         tures dont l'Occident ne comprend pas et n'a jamais pris la peine de com-
         prendre les théories, les langues et les métalangages. Habillée ironiquement
         de théories fallacieuses sur la race et la supériorité raciale, cette vanité oc-
         cidentale ne trompe plus personne. Ngugi Wa Thiong'o appelle cette ten-
         dance  prédatrice  de  l'histoire  intellectuelle  et  du  discours  médiatique
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