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Esiaba Irobi / Le discours cinématographique  africain       321

          dage de la connaissance et du discours culturel en symboles et en iconologie
         métalinguistique est appelée Nsibidi. Elle est composée de symboles imagés
         qui représentent les processus et structures clés par lesquels la société Eje-
         gham/Ibibio se régule politiquement et artistiquement. Il nécessite une com-
         préhension approfondie des systèmes de signes sémiotiques africains afin
         d'être décodé lorsqu'il est utilisé dans le cadre du vocabulaire visuel des ri-
         tuels, des cérémonies, de la peinture, de la mode, etc.

            Nsibidi symbolise des idées sur plusieurs niveaux de discours. Tout d'abord, il
            y avait des signes que la plupart des gens connaissaient, indépendamment de
            l'initiation ou du rang dans la société Ngbe, des signes représentant les relations
            humaines, la communication et les objets domestiques (qui étaient eux-mêmes
            utilisés dans certains cas comme des idéogrammes matériels) …  Ensuite, il y
            avait les signes sombres et ceux-ci étaient souvent littéralement ombragés…
            Les éventails rituels portant des nsibidi pyrogravés illustrent ce point, des éven-
            tails appelés effrigi... Les concepts représentés par cet éventail ne sont pas ex-
            plicités sous forme de traité mais rendus par la répétition, par la « musique
            visuelle ».
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                 Robert Farris Thompson, dans son étude classique de l'Afrique
          et des littératies performatives et iconographiques de la diaspora africaine,
         Flash of the Spirit, poursuit en expliquant que :
            La syntaxe des signes Nsibidi rappelle certains des plaisirs de la musique. la
            répétition, l'appel et la réponse, la correspondance... Les signes Nsibidi repré-
            sentent le cœur, la profondeur même des anciennes sociétés Ejegham, montrant
            la dernière étape, les derniers rites et seul le noyau des membres peut sortir pour
            voir de tels signes. Le jeu poétique et la vaillance stylisée, les batailles artis-
            tiques du mime et de l’« écriture d'action» animent, avec plaisir et improvisa-
            tion, les dimensions sombres du Nsibidi. L'écriture idéographique de l'Ejagham
            exalte à la fois le pouvoir des privilégiés et renvoie à un univers de potentialités
            esthétiques et intellectuelles (c'est nous qui soulignons).
                 A la lumière de l'analyse de Thompson ci-dessus, ma théorie Nsi-
         bidi du cinéma africain est, par conséquent, un argument en faveur d'un dé-
         ploiement plus complexe des formes symboliques africaines indigènes dans
         les films africains. C'est une théorie de la complexité sémiologique qui peut
         approfondir et enrichir la structure narrative et la grammaire visuelle des
         films réalisés par les africains. Elle supppose que l'iconologie, le langage
         primaire du cinéma, est, avant tout, spécifique à la culture et, deuxième-
         ment, « cultuel » et opère donc principalement à travers une herméneutique
         de l'opacité qui transcende les significations littérales et peut exclure, mais
         ne doit pas nécessairement le faire, l'étranger non informé ou le non-initié
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