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                     Lorsque j'utilise le mot « poétique » ou « mythopoétique » comme
             construction cinématographique, j'implique le pouvoir connotatif, résonnant
             et amplificateur des symboles, c'est-à-dire la narration surréaliste et non li-
             néaire rendue possible par les arrangements astucieux de l'iconographie ci-
             nématographique ainsi que par la densité de la parole. En d'autres termes,
             une compréhension plus profonde d'une langue africaine en tant que support
             oral qui transcende la simple communication cognitive de l'information.
             Cela signifie que les mots peuvent assombrir et approfondir l'ambiance
             d'une pièce ou d'un film et intensifier son pouvoir occulte, comme dans la
             scène du rituel du komo dans Yeleen ou dans une représentation de La mort
             et le cavalier du roi de Soyinka. Les mots peuvent également amener les
             acteurs, participants d'un rituel à une immersion ou à une expérience subli-
             minale  de  leurs  origines  mythiques, comme  dans le  discours cultuel
             d'Ezeulu dans Flèche de Dieu pendant le Festival des feuilles de citrouille
             à Umuaro lorsqu'il rejoue la venue d'Ulu. Le fait que nous puissions ne pas
             comprendre le sens dénotatif du passage, caractéristique de la plupart des
             discours rituels des cultures orales avec leurs points de référence ontolo-
             giques et épistémologiques obscurs, ne signifie pas que nous ne participons
             pas à sa signification subliminale, à son énergie communautaire et à sa fonc-
             tionnalité. Nous sommes toujours emportés et entraînés dans son but effi-
             cace par sa logique et son pouvoir rituels envoûtants et incantatoires. Yeleen,
             une fois de plus, nous aide à trouver le lien entre les demandes que je for-
             mule concernant l'adaptation des « meilleures » œuvres de fiction africaines
             au cinéma. L'incident suivant, qui s'est produit pendant le tournage du rituel
             Komo pour Yeleen, met en lumière l'interface entre la poésie indigène, l'es-
             thétique rituelle et la participation, réception du public dans l'esthétique du
             cinéma africain.
                     Apparemment, pendant l'un des tournages de Yeleen au Mali, alors
             que les chants de l'initié, prêtre du culte Komo chargeaient l'atmosphère
             d'une force occulte qui se trouve de l'autre côté du langage, l'un des came-
             ramen, un Bambara, dont l'éducation au sein de la culture l'avait rendu ou-
             vertement sensible au pouvoir des invocations, devint nerveux, eut de la
             fièvre et fut si désorienté que le tournage dut être annulé pour la journée.
             Nous devons noter que son corps, un site de discours « ritualisé » et « édu-
             qué », avait la clé pour décoder la gamme de significations non exprimées
             évoquées par les incantations. Parce qu'il était bambara, il pouvait déver-
             rouiller les métarécits « intraduisibles » et « non-dits » de l'orature.
                     La signification de cette expérience est que la plupart des Africains,
             en raison de leur participation culturelle de toute une vie à des rituels, des
             cérémonies, des initiations, des festivals et des représentations théâtrales,
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