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sources de ces métalangages obscurs, je dois le répéter, sont intentionnel-
lement spécifiques à la culture! Une partie de la pensée critique qui informe
ma théorie Nsibidi est que les pièces de théâtre, les romans, les poèmes et
les films africains qui perdureront dans les cent prochaines années en tant
qu'exemples classiques de l'art imaginatif africain, seront ces œuvres
constellées de métalangages iconiques, sonores, kinesthésiques, proxé-
miques, calligraphiques, sartoriaux et linguistiques qui sont indéchiffrables
sans explications ou recherches intensives, pour les non-africains, les afri-
canistes et les Africains intellectuellement aliénés ou exilés. Ces dépôts cul-
turels indigènes que je préconise seront les pierres de touche grâce
auxquelles nos enfants du continent et de la diaspora parviendront à com-
prendre la sophistication de l'intelligence culturelle africaine pré-esclava-
giste et précoloniale en lisant ces films et cette littérature, même si la
mondialisation fait ses derniers ravages sur les cultures indigènes d'Afrique
et d'une grande partie du monde. Comme La flèche de Dieu, Le chemin du
tonnerre, Le ventre du cœur, La route et Yeleen, ils seront des sources de
divertissement et d'édification, ainsi que la preuve d'une manière distincte
de regarder le monde, de l'interpréter et de documenter ses contradictions
sur papier et sur pellicule. Ils seront les marques sur notre visage et les mar-
queurs sur nos clôtures, les pierres de touche de la différence…de ce qui
rend la créativité et l'identité spirituelle, intellectuelle et artistique de
l'Afrique et de la diaspora africaine uniques et distinctes de l'identité euro-
péenne (Les Ailes du désir de Wim Wender [1987]) ou asiatique (Adieu ma
concubine). L'art, par sa nature même, est culturellement et historiquement
spécifique, et l'esthétique du cinéma africain devrait l'être également.
Olabiyi Babalola Yai soutient cette thèse. Dans son essai incisif
intitulé « In Praise of Metonymy: the Concepts of Tradition and Creativity
in the Transmission of Yoruba Artistry over Time and Space », il affirme
que la capacité à concilier opacité, différence et ouverture dans un mouve-
ment incessant d'engagements métonymiques peut expliquer le succès et la
popularité de la culture yoruba dans le nouveau monde. Car là-bas, malgré
un climat social d'intolérance et d'invitation au mimétisme, elle a largement
contribué à cimenter et à créoliser les cultures africaines et non africaines.
De manière significative, ajoute-t-il:
Nous sommes tous victimes de l'impérialisme de l'écriture, avec son attitude
péjorative envers les cultures orales. En conséquence, la plupart des Africains
mènent leurs recherches en partant de l'hypothèse implicite d'une tabula rasa
discursive et métalinguistique dans les cultures étudiées.
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La pauvreté épistémologique de cette attitude n'a pas besoin d'être élaborée .
(c'est moi qui souligne)