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une modernité africaine en attachant des expériences/sémiologies contem-
poraines à l'ancien. Cela crée donc une hybridité implicite mais complexe
qui nécessiterait alors une implication profonde et initiatique dans le pro-
cessus éducatif culturel africain afin d'être décodée. Il est évident que les
images « modernistes » plus récentes, d'origine européenne, seront faciles
à comprendre par tous, mais les véritables casse-dents seront les images in-
digènes, précoloniales, pierres angulaires de l'identité ontologique de la so-
ciété. Les exemples abondent dans la poésie d'Okigbo, les romans de
Chinua Achebe et d'Amos Tutuola, le théâtre de Werewere Liking, les
pièces de Wole Soyinka, certains aspects de la grammaire cinématogra-
phique d'Ousmane Sembène, de Djibril diop Mambéty, et les œuvres de
quelques cinéastes plus anciens. Pourtant, il est troublant de constater que
cette sophistication de l'iconologie fait progressivement défaut dans les
films plus récents du continent africain, qui sont nombreux.
Ainsi, je suis d'accord que nos cinéastes doivent retrouver le chemin
de ce discours de la complexité tel qu'illustré par le paradigme théorique
de Nsibidi. La difficulté exégétique et les surprises narratologiques impli-
quées dans ce processus créatif posent le défi de forcer les chercheurs afri-
cains/critiques de cinéma africanistes, ou les avatars du cinéma mondial, à
lire les films africains, et non à les regarder. Cela les obligera également à
prendre la peine d'étudier les stratégies ontologiques, téléologiques, sémio-
logiques et narratologiques de la culture donnée, comme l'illustre Yeleen de
Souleymane Cissé, dont le symbolisme complexe et cultuel bambara in-
carne la quintessence de la théorie Nsibidi en tant que cadre théorique ci-
nématographique africain fonctionnel et réalisable.
La théorie Nsibidi et les « adaptations » cinématographiques
de la littérature africaine classiques
Nsibidi, ou la tendance métalinguistique à révéler et à dissimuler
des informations en même temps, imprègne le plus profond de tous les pro-
cessus et produits culturels africains indigènes et précoloniaux, qu'il s'agisse
d'œuvres de sculpture, de musique, de poésie, de peinture, de masques, de
danse ou de contes. Il est intéressant de noter que ces formes d'art consti-
tuent la principale source créative respective pour l'interprétation de la so-
ciété par les cinéastes et les écrivains africains. Voyons maintenant comment
l'idéal Nsibidi, en tant que construction théorique, se reproduit dans les
meilleures œuvres littéraires du continent africain. En outre, étant donné
que l'adaptation des classiques littéraires au cinéma suscite aujourd'hui un