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Esiaba Irobi / Le discours cinématographique africain 329
Ma théorie Nsibidi du cinéma est basée sur cette « innocence métalinguis-
tique » qui imprègne une grande partie de la pratique et de la recherche
contemporaines sur le cinéma africain. D'un point de vue comparatiste dias-
porique, il est intéressant d'observer que très peu de cinéastes africains sur
le continent, où les ontologies, téléologies, sémiologies et narratologies afri-
caines indigènes sont nées, ont osé le genre d'engagement athlétique avec
la téléologie et la narratologie cinématographique que Haile Gerima et
Julie Dash ont respectivement tenté dans Sankofa (1993, Ethiopie) et
Daughters of the Dust (1991, Etats-Unis). En effet, beaucoup de nos ci-
néastes sur le continent se complaisent encore dans leur ignorance des riches
ressources ontologiques, sémiologiques et narratologiques indigènes dis-
ponibles dans leurs propres cultures pour enrichir profondément leurs films
en tant que textes qui doivent être lus différemment des films européens,
canadiens, américains, etc. Les facteurs qui militent contre une telle com-
préhension incluent le désespoir d'un marché consumériste et un public qui
doit consommer les films africains avec la même facilité qu'il consomme
un film hollywoodien. Il y a aussi le problème de cette faible communica-
tion entre la recherche cinématographique et la réalisation de films en
Afrique. Les festivals de cinéma du FESPACO et les conférences sur le ci-
néma africain à Londres, Paris et New York sont des tentatives intéressantes
pour assurer ce dialogue, mais nos cinéastes prennent-ils vraiment au sé-
rieux la recherche universitaire sur le cinéma africain? Par exemple, com-
bien de cinéastes africains liront un jour cet essai, se débattront avec ses
arguments ou essaieront de comprendre ce que je m'efforce de raconter?
Comme nous pouvons le voir, les obstacles à un engagement avec les théo-
ries africaines du cinéma sont nombreux.
La question de savoir quelle langue est la plus appropriée pour ex-
primer des théories sur la performance, la littérature et le cinéma africains
nous amène à la question la plus cruciale et la plus finale que cet essai de-
vrait aborder : Qu'est-ce que la « théorie » et quelle est la « politique de la
théorie » en Occident ?
Qu'est-ce que la théorie, et pourquoi l'occident en est-il si obsédé ?
Dans son essai intitule «There Is No More Beautiful Way», Hous-
ton A. Baker Jr, affirme que:
une théorie est une explication. Les théories réussies offrent une description glo-
bale et une adéquation prédictive. Leur objectif est un ordre de compréhension,
différent de la connaissance intuitive, du sens commun ou de l'appréciation.
Ils commencent là où ces modes de pensée s'arrêtent, ou du moins là où
ils ne parviennent pas à aborder des questions dont les réponses exigent davan-