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Esiaba Irobi / Le discours cinématographique  africain       325

          intérêt croissant dans le monde entier, comme en témoigne l'industrie ciné-
         matographique britannique, il est important de mettre en avant la manière
         de ne pas compromettre la force nsibidi des œuvres littéraires africaines
         dans les futures  réadaptations  cinématographiques de  Xala  d'Ousmane
         Sembène, Les Bouts de bois de dieu d'Ousmane Sembène, Kongi's Harvest
         et The Road de Wole Soyinka, Things Fall Apart et Arrow of God de
         Chinua  Achebe,  Anowa  d'Ama  Ata  Aidoo,  et la  complexité
         linguistiquement symphonique et imagée de The Famished Road de Ben
         Okri.

                 Commençons par La Route de Wole Soyinka, une pièce qui a été
         conçue à l'origine comme un scénario de film. Cette pièce est solidement
         ancrée dans une vision du monde yoruba et illustre parfaitement ce que j'en-
         tends par une compréhension composite de l'ontologie, de la téléologie, de
         la sémiologie et du vocabulaire narratologique respectif d'une culture afri-
         caine donnée. Bien qu'écrit en anglais et dans le cadre d'un concept occi-
         dental  de l'écriture théâtrale,  Soyinka  subvertit la narration  linéaire
         occidentale et déploie le mythe indigène d'Ogun, les métalangages des fes-
         tivals d'Ogun, masques, danses, chants, costumes, fouets, carcasses de voi-
         tures,  processions, poésie cultuelle,  et  les théories de  la  performance
         inhérentes au théâtre rituel et aux symbolismes autochtones yoruba, y com-
         pris les personnages de procession qui, pour raconter l'histoire d'une société
         africaine en transition du traditionalisme à la modernité, utilisent un style
         de jeu ritualisé et stylisé (non naturaliste). Au centre de la pièce se trouve
         la quête mi-psychique, mi-intellectuelle du professeur sur le sens de la vie
         et le phénomène de la mort.
         Quels défis cette pièce complexe et extrêmement gratifiante, tant au niveau
         de sa lecture que de sa représentation, devra-t-elle relever lorsqu'elle sera
         traduite au cinéma ? Comment le cinéaste pourra-t-il saisir l'habile suspen-
         sion de l'intrigue linéaire par Soyinka et l'introduction d'un concept africain
         du temps dans lequel le temps chronologique est interrompu par le temps
         primordial  au  moment  où  Ogun  envahit  le  déroulement  de  la  pièce  et
         possède  les personnages, conférant ainsi au  spectacle  une  intégrité
         mythique et poétique typiquement yoruba ? Comment le cinéma peut-il saisir
         la nature cyclique du récit qui a la forme d'un serpent qui se mange la queue,
         une route lovée dans l'attente comme un boa constrictor dévorant des vies
         alors même qu'elle représente contradictoirement le progrès ? Quel éclairage
         cette pièce  nous  donne-t-elle  sur  le  fait  que  le  cinéma  africain,  pour  se
         démarquer dans le cinéma mondial, doit s'éloigner du prosaïque pour aller
          vers le mythique et le poétique ?
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