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                     Pour le militant qui lutte chaque jour et qui affronte des obstacles
             de taille, qu'il pleuve ou qu'il grêle, de jour comme de nuit, sans repos du
             dimanche, pas de retraite, sacrifiant chaque jour un peu de son bien-être
             familial, et l'intimité tranquille avec sa femme, sur l'autel de la lutte. Par-
             fois, pour ceux qui sont chefs de famille, cela signifie que vous ne trouverez
             jamais le temps d'aider les enfants à faire leurs devoirs. C'est comme le
             médecin qui doit envoyer ses enfants faire leur bilan de santé chez un autre
             collègue. Le militant qui travaille au cœur de la lutte politique a donc plus
             de responsabilités que l'écrivain. J’en connais pas mal, et je peux citer leurs
             noms, des hommes et des femmes qui ont tout donné à la << cause>>, des
             figures exemplaires de ce que j'appelle l'héroïsme du quotidien.
                     Pour vivre intensément parmi son peuple, il n'est pas nécessaire de
             s'afficher et de répéter comme un perroquet des phrases révolutionnaires.
             Nous devons nous battre sans relache, si nous voulons changer notre conti-
             nent, car ce ne sont pas les chinois, les russes, les français, les américains,
             etc. qui vont changer l'Afrique, mais nous, et seulement nous, les africains.
             A quel prix? Essayons, ensemble, vous et moi, d'approfondir la question.
                     Nous avons besoin de l'art tout comme nous avons besoin de millet
             ou de chapalo  . Nous avons besoin de l'art tout comme nous avons besoin
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             d'amour et d'affection. Le problème est le suivant: à quoi sert réellement
             l'art? C'est la question que je ne cesse de me poser. Pouvons-nous vivre
             sans art? Je pense que ce serait très difficile, un véritable défi, mais je ne
             peux pas répondre à cette question tout seul. Nous avons besoin d'entendre
             des chanteurs, de lire des écrivains, d'aller au cinéma. Cela nous apporte
             du réconfort, une sorte de paix intérieure. Si l'art avait pour but de nous
             endormir, de nous arracher à la réflexion ou de nous empêcher de réfléchir,
             alors je crois que nous n'aurions pas eu besoin de cet art.
                     L'art peut nous apporter de la joie, mettre nos sens en éveil, calmer
             nos ardeurs et, parfois, susciter des idées fortes. Le fait est que l'art ne peut
             venir que des gens. Il est la somme totale des expériences quotidiennes que
             les gens vivent. Quand je regarde les gens dans les rues de Ouagadougou,
             j'ai l'impression que je pourrais écrire une nouvelle chaque jour, si je devais
             vivre ici. Bien sûr, l'ambiance est différente de celle de la vie urbaine de
             Dakar, mais la différence est presque négligeable, d'ordre matériel, peut-
             être. À Abidjan, c'est la même chose. Il n'y a donc pas de barrières pour les
             artistes, pas de cloison étanche entre l'artiste sénégalais et son homologue
             de Haute-Volta.
                     Revenons à la question qui nous occupe: le cinéma africain. Per-
             mettez-moi d'abord de vous donner un bref aperçu de son histoire. Le ci-
             néma africain est né pendant la période coloniale. On a tendance à oublier
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