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522 FESPACO/BLACK CAMERA/INSTITUT IMAGINE 12:2
Pour le militant qui lutte chaque jour et qui affronte des obstacles
de taille, qu'il pleuve ou qu'il grêle, de jour comme de nuit, sans repos du
dimanche, pas de retraite, sacrifiant chaque jour un peu de son bien-être
familial, et l'intimité tranquille avec sa femme, sur l'autel de la lutte. Par-
fois, pour ceux qui sont chefs de famille, cela signifie que vous ne trouverez
jamais le temps d'aider les enfants à faire leurs devoirs. C'est comme le
médecin qui doit envoyer ses enfants faire leur bilan de santé chez un autre
collègue. Le militant qui travaille au cœur de la lutte politique a donc plus
de responsabilités que l'écrivain. J’en connais pas mal, et je peux citer leurs
noms, des hommes et des femmes qui ont tout donné à la << cause>>, des
figures exemplaires de ce que j'appelle l'héroïsme du quotidien.
Pour vivre intensément parmi son peuple, il n'est pas nécessaire de
s'afficher et de répéter comme un perroquet des phrases révolutionnaires.
Nous devons nous battre sans relache, si nous voulons changer notre conti-
nent, car ce ne sont pas les chinois, les russes, les français, les américains,
etc. qui vont changer l'Afrique, mais nous, et seulement nous, les africains.
A quel prix? Essayons, ensemble, vous et moi, d'approfondir la question.
Nous avons besoin de l'art tout comme nous avons besoin de millet
ou de chapalo . Nous avons besoin de l'art tout comme nous avons besoin
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d'amour et d'affection. Le problème est le suivant: à quoi sert réellement
l'art? C'est la question que je ne cesse de me poser. Pouvons-nous vivre
sans art? Je pense que ce serait très difficile, un véritable défi, mais je ne
peux pas répondre à cette question tout seul. Nous avons besoin d'entendre
des chanteurs, de lire des écrivains, d'aller au cinéma. Cela nous apporte
du réconfort, une sorte de paix intérieure. Si l'art avait pour but de nous
endormir, de nous arracher à la réflexion ou de nous empêcher de réfléchir,
alors je crois que nous n'aurions pas eu besoin de cet art.
L'art peut nous apporter de la joie, mettre nos sens en éveil, calmer
nos ardeurs et, parfois, susciter des idées fortes. Le fait est que l'art ne peut
venir que des gens. Il est la somme totale des expériences quotidiennes que
les gens vivent. Quand je regarde les gens dans les rues de Ouagadougou,
j'ai l'impression que je pourrais écrire une nouvelle chaque jour, si je devais
vivre ici. Bien sûr, l'ambiance est différente de celle de la vie urbaine de
Dakar, mais la différence est presque négligeable, d'ordre matériel, peut-
être. À Abidjan, c'est la même chose. Il n'y a donc pas de barrières pour les
artistes, pas de cloison étanche entre l'artiste sénégalais et son homologue
de Haute-Volta.
Revenons à la question qui nous occupe: le cinéma africain. Per-
mettez-moi d'abord de vous donner un bref aperçu de son histoire. Le ci-
néma africain est né pendant la période coloniale. On a tendance à oublier

