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             la RDA. Mais quel écrivain a été témoin de toutes les rencontres qui ont eu
             lieu ici avec feu Ouezzin Coulibaly, Mamadou Konate du Mali, etc. Aucun à
             ma connaissance. Si vous établissez un parallèle avec d'autres contextes, vous
             vous rendez compte qu'ailleurs, des écrivains ont fait exactement cela : témoi-
             gner de situations similaires de militantisme de base dynamique. C'est la
             différence cruciale, je pense, une véritable connaissance de leur peuple fai-
             sait cruellement défaut à ces écrivains. Ils n'étaient tout simplement pas
             dans le feu de l'action, pas profondément impliqués dans les mouvements
             de résistance et les luttes populaires. C'est une question d'une importance
             capitale pour un artiste : être parmi son peuple et prendre part à la quête
             quotidienne de la liberté, une liberté à la fois intérieure à son esprit et ex-
             térieure dans le monde.

                     De 1946 à 1948, la lutte des syndicats est avant tout anticoloniale.
             Je prends le cas de ma génération pour illustrer ce propos. À l'époque, nous
             sommes arrivés à cette lutte comme des mouches dans une soupe ou, si vous
             préférez, comme des cafards dans un bol de chapalo. (Rires). Je ne peux
             citer aucune source, mais tous ceux qui étaient à Dakar comme Sékou
             Touré, Nazi Boni, parlaient de la dialectique de la culture nationale et de
             la libération. Nous avons été les premiers à aborder ces questions parce
             que les personnes qui organisaient ces réunions accordaient plus d'attention
             au nombre de diplômes obtenus qu'à un travail d'organisation efficace.
             Pour nous, il ne s'agissait pas tant de les rattraper et d'obtenir le plus de
             diplômes possible que de nous plonger plus profondément dans la vie de
             nos peuples, c'est-à-dire d'apprendre davantage des peuples, non pas pour
             monter sur nos grands chevaux et dire ensuite : "Regardez, voilà ce qu'il
             faut faire", mais simplement pour apprendre à mieux prêter l'oreille à ce
             que les peuples ont à dire.
                     Certains ont choisi d'emprunter cette voie. À l'époque, leurs enne-
             mis écrivaient pour soulever des questions qu'ils étaient censés aborder à
             titre individuel. Pour quelqu'un comme Ahmed Sékou Touré, la littérature
             n'était, vous savez, pas dénuée d'intérêt, mais pour lui, la lutte directe pri-
             mait sur la culture, la littérature, les beaux-arts. Pour moi, tout passait
             après la littérature. Il y avait cette dualité entre ceux qui, vingt ans plus tard,
             allaient diriger nos pays et moi en tant qu'individu. Aujourd'hui, le débat fait
             toujours rage, et c'est ce dont nous sommes réunis ici, ce soir, pour en dis-
             cuter.
                     L'art est-il essentiel ? Nous avons vu ce que Sékou Touré a pu réa-
             liser en termes de politique culturelle. En Guinée, les échecs en matière de
             politique économique sont difficilement perceptibles, mais on ne peut pas
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