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             Ils ressentent le besoin de s'exprimer, et c'est exactement ce qu'ils font.
             Que feriez-vous, si vous étiez à leur place ?
                     Mais il y a au moins une lueur d'espoir au milieu des nuages som-
             bres du cinéma africain contemporain, et c'est le fait que, comme l'a souli-
             gné l'orateur précédent dans ses remarques préliminaires, les signes et les
             symboles de l'appartenance à une classe et du statut social ne peuvent plus
             être dissimulés. Le cinéma est le premier média à en faire la lumière, à les
             faire sortir de l'ombre. C'est normal, puisque l'État a réquisitionné la radio
             et la télévision, tout comme il cherche à confisquer le cinéma lui-même afin
             de faire tourner ses propres récits sur pellicule, tous bien ficelés, formulés
             et aseptisés, avec des thèmes abrutissants, de la malbouffe qui nous laissera
             toujours en manque de quelque chose de plus substantiel. Pourtant, nous
             irons les voir. Nous le ferons, en effet, parce que l'Afrique traverse sa plus
             grande crise, une crise culturelle dans laquelle la culture africaine clas-
             sique, celle que nous avons essayé, jusqu'à présent, de sauver et de préser-
             ver, montre des signes inquiétants de décadence. Dans la plupart des cas,
             aller au cinéma tend à être notre activité culturelle préférée. C'est tellement
             plus facile et moins coûteux que d'acheter et de lire un livre. Nous préférons
             aller au cinéma plutôt que d'écouter un joueur de kora. Pourquoi ? Parce
             que dans une salle de cinéma, vous êtes assis, vous venez avec un groupe
             et, selon la catégorie de votre billet, vous sentez plus ou moins la brise
             fraîche de la climatisation. Cela devrait être un sujet de préoccupation alar-
             mant, étant donné que le cinéma fait désormais partie intégrante du tissu
             de la vie sociale. Les jeunes d'aujourd'hui, et même leurs aînés, commencent
             leur rendez-vous du samedi soir par une sortie au cinéma, n'est-ce pas ?
             En pratique, oui, cela vous évite bien des ennuis avec une fille si vous pou-
             vez simplement lui dire : "On se voit au cinéma, alors, d'accord ?" ou "On
             se retrouve après le film, d'accord ?". En soi, cela ne nous concerne pas,
             mais comme cela illustre la portée profonde des tentacules idéologiques du
             cinéma à l'intérieur de notre conscience collective, il s'agit ici de bien plus
             que de stratégies d'amour et de rencontre juvéniles. Lorsque nous regardons
             un film, nous n'analysons pas les images parce que nous cherchons à nous
             échapper de la réalité.
                     Le cinéma contrôlé par nos gouvernements est pernicieux dans la
             mesure où ce cinéma fournit un cadre de référence pour de nouvelles formes
             de comportement, d'attitudes, de façons de faire. Nous connaissons tous de
             nombreux jeunes hommes, voire des hommes plus âgés, qui essaient souvent
             de s'identifier à tel ou tel acteur. Nous voulons tous tel ou tel costume trois-
             pièces, telle ou telle paire de chaussures. Les femmes veulent telle ou telle
             coiffure, telle ou telle robe, vues dans tel ou tel film. Eh bien, si ce n'est pas
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