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chez vous, votre environnement est souillé par la culture occidentale,
jusqu'au lit dans lequel vous vous couchez. (Rires). A l'époque de nos pères,
ils travaillaient la terre, après ils rentraient chez eux, dans leurs huttes,
pour être parmi les leurs, pour se retrancher dans le giron de leur culture.
En ce moment, les gouvernements africains, involontairement ou non, per-
mettent à l'impérialisme culturel d'entrer dans nos propres maisons, les der-
niers bastions de notre intimité et de notre intégrité. Bien sûr, vous pouvez
toujours me faire remarquer que nous, ne pouvons nous en prendre qu'à
nous-mêmes car ce triste constat des choses est notre faute, et non celle des
autres.
Pour en revenir au cinéaste, je dirai seulement ceci : Je pense que
la tragédie du cinéma africain, et de ses cinéastes en particulier, est qu'ils
ont embrassé le médium en tant qu'individus. Ils n'ont pas embrassé le ci-
néma par un profond sentiment d'engagement envers des convictions poli-
tiques, non, ils l'ont embrassé pour les paillettes et les éclats de la célébrité,
pour les sensations fortes qu'il offrait. Certains aiment être choyés et adulés,
ils aiment entendre les critiques dire : "C'est un artiste de telle ou telle ma-
nière." C'est assez flatteur, mais je pense que cela montre aussi que nous
ne sommes que des humains, surtout dans le cas des jeunes cinéastes. Ce-
pendant, ce qui m'inquiète le plus, c'est que dans les dix prochaines années
environ, nous verrons des Africains produire des contenus européens pour
d'autres Africains, c'est-à-dire qu'ils vont colporter des produits culturels
occidentaux pour vous et moi, tout en vous faisant croire qu'ils sont encore
africains. Dans un tel contexte, je prévois une lutte acharnée entre les dé-
tenteurs du pouvoir, qui veulent contrôler le cinéma pour en faire leur outil
de propagande, et ceux qui veulent qu'il serve le peuple. Les structures de
pouvoir qui contrôlent le cinéma, les salles de cinéma, peuvent interdire
tout film qui ne correspond pas à leurs schémas de politique culturelle. Par
conséquent, il existe de nombreux pays en Afrique où les films sont purement
et simplement interdits, où les films ne peuvent être projetés parce que, pré-
tendument, ils ne sont pas conformes à la politique du gouvernement. En
tant que cinéastes, nous voulons témoigner de la situation historique et
transmettre les aspirations du peuple.
Le cinéma est le moyen le plus approprié, aujourd'hui, pour jeter
une lumière crue sur la situation historique de l'Africain ordinaire : cor-
ruption, népotisme, vols à grande échelle, dépenses inutiles, accumulation
privée de capital. (Applaudissements). Je pense qu'il faut être singulière-
ment malhonnête pour nier que ces choses existent dans nos sociétés. Au
Sénégal ou en Haute Volta, nous connaissons beaucoup de gens qui se jet-

