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Samba Gadjigo & Jason Silverman / L’héritage de Sembène au FESPACO   529

          de l'aliénation, je ne sais pas ce que c'est. Regardons les choses en face,
         ces futilités de la mode sont bien les symptômes de notre aliénation aiguë.
         (Applaudissements). Ils ont été infusés dans nos vaisseaux sanguins, mais
         je ne blâme pas les gens ordinaires, je dis plutôt et je répète que l'État est
         le coupable, que nos dirigeants devraient être tenus responsables. À la lu-
         mière de notre manque chronique de tout cadre de référence, ce que l'on
         appelle le complexe identificatoire règne en maître. Si l'on regarde de plus
         près, on constate même que certains veulent ressembler à Marlon Brando
         et Jean-Paul Belmondo, jusqu'à la coupe de cheveux. Regardez vos salons
         de coiffure et vos barbiers, étudiez-les comme des phénomènes sociolo-
         giques. (Rires). Nous avons aussi le style Django. (Rires). Vous riez, mais
         je vous dis qu'il n'y a pas de quoi rire, car cela dénote un manque en nous.
         Cela nous affecte gravement, vous, moi, votre fils, votre fille. Nous sommes
         tous douloureusement conscients du grand vide qui est en nous, et ce que
         nous demandons à nos gouvernements, c'est de changer de cap et de trouver
         dans la culture africaine les modèles dont nous avons besoin et dont nous
          avons envie. Nous pouvons aussi forger nos propres mythes, vous savez.
          Mais en fin de compte, vous et moi savons que ce sera une bataille difficile,
          dans la mesure où nos gouvernements ont les mains liées par les différentes
          formes d'impérialisme culturel qui leur imposent leurs cultures étrangères,
          c'est-à-dire à nous.
                 Je n'étais pas là en janvier 1970, lorsque le gouvernement de Haute
         Volta a décidé de fermer toutes les salles de cinéma. Nous sommes arrivés
         à Ouagadougou deux jours plus tard, après les fermetures. Pendant trois
         jours, je ne sais pas si vous l'avez aussi remarqué à l'époque, les gens ne
         savaient pas où aller le soir, puisqu'ils étaient privés des lieux habituels où
         ils pouvaient se défouler. Pendant trois jours, les cinémas ont donc été fermés,
          mais le gouvernement a été contraint de les rouvrir, non pas pour votre bien,
          car on ne ferme et n'ouvre jamais un cinéma pour faire plaisir au public.
          Mais la pression montait, et elle a atteint de telles proportions qu'il aurait
          été insensé de ne pas laisser les gens retourner dans les salles de cinéma.
          Le cinéma joue donc un rôle énorme dans la civilisation contemporaine,
         dans ce qu'on appelle aussi la civilisation de l'image. Loin de contester la
         valeur du cinéma en tant que technique et moyen de représentation, ce que
         nous contestons, ce que nous déplorons, c'est notre surexposition à des
         contenus qui ne correspondent pas à nos désirs et à nos besoins. Ce contenu
         continue de nous aliéner et de nous coloniser. Au temps de nos pères, et
         même à mon époque, la colonisation signifiait l'occupation de terres.De
         nos jours, le néo-colonisme est un système plus avancé, il signifie l'occu-
         pation des terres et des esprits. (Applaudissements). Quand vous rentrez
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