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                     Donc à Dakar, j'ai tourné Borom Sarret. Pendant longtemps, le
             gouvernement a interdit sa distribution. C'était peut-être son droit d'agir
             ainsi. Pour ma part, j'avais le droit de faire le film, c'était mon droit civique.
             Pourquoi ? Parce que j'avais choisi mon camp. Je n'étais pas forcément du
             côté des charretiers et autres déshérités. J'ai tourné ce film parce que j'ai
             vu qu'à l'époque, mes camarades du PAI, c'est-à-dire la branche du Parti
             communiste au Sénégal, étaient jetés en prison et qu'ils luttaient quand
             même pour une cause invisible, une cause qu'ils soutenaient toujours de
             tout leur cœur. Faire des films était ma mission, personne d'autre ne pouvait
             accomplir cette tâche. Tout comme je ne peux pas prendre la place de nos
             dirigeants et faire à leur place ce qu'ils sont censés faire. Il y a donc tou-
             jours cette dualité entre l'artiste et les structures de pouvoir, quelle que soit
             leur forme.
                     Finalement, nous avons réussi à façonner notre propre cinéma, en
             faisant des films, en parcourant l'Afrique pour les projeter, en organisant
             des réunions impromptues à partir de ces films, non seulement par le biais
             des rassemblements réguliers de militants radicaux, mais aussi en faisant
             de nos films des sujets de discussion, le débat après la projection servant
             de forum. Ce faisant, nos films pouvaient durer plus longtemps dans leur
             vie publique, sans que nous ayons besoin de les colporter comme des mar-
             chandises destinées uniquement à une gratification instantanée. Ainsi, nous
             nous sommes éloignés d'un certain cinéma qui noie la vérité dans le bain
             acide des mensonges de rang, un cinéma qui ne nous enrichit pas du tout
             et qui, au contraire, nous détourne de nous-mêmes, plantant au fond de
             nous les graines de l'aliénation. A ce propos, et si l'on suit l'évolution du
             cinéma en tant que médium et technique de représentation, on fait l'amer
             constat qu'en Afrique, le cinéma commercial a toujours envahi, occupé,
             monopolisé nos écrans, et ceci est cohérent avec sa collusion avec nos gou-
             vernants, car ils en sont complices. Nous parlons de complicité gouverne-
             mentale dans la mesure où, pour vous donner un exemple concret, depuis
             1978, nous sommes en mesure de fournir la Haute Volta en films africains
             pendant six mois. Oui, nous le pouvons. Il n'y a donc aucune raison, aucune
             que nous puissions voir en tout cas, pour que la SONAVOCI  ne puisse pas
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             distribuer ces films. Nous devons donc en conclure que les États africains
             sont de mèche avec l'impérialisme culturel français ou américain. (Longs
             applaudissements).
                     Bon, bon, calmons-nous, ne nous laissons pas emporter facilement,
             ceci n'est pas une réunion de campagne électorale. Comme je l'ai dit, je ne
             détiens pas la clé des vérités absolues et, bien sûr, il se peut que j'aie tout
             à fait tort sur certaines de ces questions. Je ne fais que distribuer ces ré-
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