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Samba Gadjigo & Jason Silverman / L’héritage de Sembène au FESPACO   523

          que les colonisateurs, dans le cadre de la formation de leurs cadres indi-
          gènes, avaient formé certains cinéastes à l'exaltation de l'occupation colo-
          niale, de la vie quotidienne, de ses réalisations, afin de perpétuer cette
          occupation coloniale et de nous amener à l'accepter comme un fait "natu-
          rel", comme l'air que nous respirons. Jusqu'en 1960, il y avait les actualités
          des gouverneurs de région et des commissaires de district, et il y avait des
          écoles, des centres culturels, etc. où les projections de ces actualités avaient
         lieu.L'art cinématographique n'est pas allé plus loin que ça.
                 Personne ne disait ce qu'il fallait faire. Quelques-uns tentent de
         sortir de cette impasse débilitante, mais ils sont surtout à l'étranger, no-
         tamment à Paris, Londres et en Italie. Des cinéastes africains ont essayé
         de tourner des films, mais seulement s'il s'agissait de "reconstitutions" his-
         toriques teintées de nostalgie du passé. Pour nous, ce n'est pas nouveau.
         Quand on s'intéresse à tout ce qui est littéraire en Afrique, on se rend
         compte qu'il y a eu une période où la littérature africaine ne consistait qu'en
         des séances de contes le soir autour du feu communautaire, des contes po-
         pulaires et, comme toujours, des morceaux de choix de notre soi-disant sa-
         gesse africaine. Il ne s'agissait sans doute pas d'une régression vers un état
          primitif, mais plutôt d'une forme de résistance à l'assaut permanent que la
          société africaine subissait, au quotidien, pendant l'ère coloniale. Ces contes
          et romans, comme les premiers films du même acabit, ont servi à quelque
          chose, nous ne pouvons pas les écarter d'un revers de main. Ces courants
          littéraires et cinématographiques ne sont pas étrangers à l'émergence de
          Présence Africaine, de la Société des Auteurs Africains et de la Société Afri-
          caine de Culture. Ce mouvement de renouveau est né avant les indépen-
          dances  nominales  de  1960.  Mais  à  partir  de  cette  date,  les  choses  ont
          commencé à changer. Jusque-là, ce n'était que l'évocation ou la contem-
         plation nostalgique d'un passé idyllique. Mais est-il juste de dire que les
         quelques livres sur ces sujets ne méritaient pas d'être publiés? Avons-nous
         le droit d'être aussi sévères dans notre jugement?
                 La plupart des artistes de cette génération n'ont pas pris une part
         active aux luttes de libération nationale. Vivant hors de leur pays, très de-
         mandés dans les réunions privées et les salons chics, ils n'étaient pas à la
         hauteur de la tâche et ne sentaient pas le poids de la responsabilité histo-
         rique  peser  sur  leurs  épaules.  Ils  parlaient  avec  grandiloquence  d'une
         chose, et d'une seule : Le passé glorieux de l'Afrique. Ce qui manquait à la
         plupart d'entre eux, je pense, c'était une participation active à la lutte aux
         côtés des masses. Ceux de ma génération qui sont ici aujourd'hui se sou-
         viennent sans doute que Ouagadougou était une plaque tournante, un foyer
         de protestation et d'agitation à l'époque de la résistance anticoloniale de
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