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Samba Gadjigo & Jason Silverman / L’héritage de Sembène au FESPACO   531

          tent sur les biens publics pour se les approprier, et ce, sans état d'âme, parce
          qu'ils ont fait des lois taillées à la mesure de leurs desseins prédateurs.
          Nous en connaissons beaucoup d'autres qui possèdent quatre ou cinq pro-
          priétés et les louent à l'État, qui soutirent d'énormes sommes d'argent des
          caisses de l'État pour construire des bâtiments qu'ils loueront ensuite à ce
          même État ou qu'ils utiliseront eux-mêmes en faisant payer la facture par
          l'État. Ce n'est rien d'autre que du vol d'autoroute en haut lieu. (Applau-
          dissements).  A  quoi  d'autre  cela  ressemble-t-il  ?  Mais  quand  nous,  ci-
          néastes, dénonçons cela, on nous reproche de nous "mêler" de politique.
         Eh bien, oui, c'est le cas, en fait nous ne l'avons jamais nié.
                 Mais notre politique est avant tout culturelle, elle a pour but d'aider
         les gens à façonner leur propre conscience. Nous savons pertinemment que
         cent députés ne peuvent remplacer un seul cinéaste. En revanche, un paysan
         vaut dix cinéastes. C'est ainsi que nous établissons notre système de valeurs,
         si vous voulez. Mais lorsque nous dénonçons les vols, nous sommes quali-
         fiés de subversifs, lorsque nous dénonçons le trafic d'influence, l'ingérence
         et les abus de pouvoir, ils disent que nous nous mêlons de politique, exac-
         tement ce qu'ils font chaque jour. C'est juste qu'ils n'ont pas les couilles de
         l'admettre (rires), alors que nous, en revanche, nous avons le courage de
         regarder, d'écouter et de nous plonger dans ces affaires afin d'exposer le
          linge sale en public.

                 Peut-être ne pourrons-nous plus le faire, dans un avenir proche.
         Cela sera dû au simple fait que les voleurs et les escrocs d'aujourd'hui se-
         ront les producteurs de films de demain. Avec toute leur richesse mal ac-
         quise, ils vont financer des films, à condition d'exercer un contrôle absolu
         sur l'ensemble du processus, du scénario à l'écran. Une fois de plus, nous
         lançons un avertissement sévère. Nous n'avons pas de solution toute faite
          à ce problème. Cependant, nous pensons que le même schéma de domina-
          tion se répète sans cesse, tout comme dans le contexte du syndicalisme,
          vous avez le syndicat des hommes honnêtes et le syndicat des escrocs mis
          en place par l'État. Dans le contexte des organisations syndicales, nous sa-
          vons que souvent, dans un même pays, une situation se présente où vous
          avez ces deux groupes qui se battent pour la domination : les représentants
         de l'État et les membres de la classe ouvrière. Le même clivage existe chez
         les cinéastes africains.
                 L'autre trait déplorable du caractère du cinéaste africain est sa mé-
         connaissance de la société dans laquelle il vit. On peut parler d'une géné-
         ration coupée des racines vivantes de la culture africaine, plus à l'écoute
         du cinéma occidental et peu soucieuse de façonner de nouvelles formes ci-
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