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d’une invasion de l’esprit. Il s’agissait de remplacer un ensemble d’histoires
par un autre ensemble d’histoires. Et l’intention de ce projet était d’éradiquer
l’identité [africaine]. L’histoire de Samba, qui a quitté la maison pour aller
au lycée, où sa langue était proscrite, est une histoire d’effacement.
MTM : Et de complicité !
JS : Oui, c’est sûr, la complicité. Si vous rendez quelque chose suffisamment
séduisant, vous obtiendrez l’adhésion de votre public. C’était le pouvoir du
système colonial, et il est juste de dire que c’est encore le cas après 1960.
SG : Oui, tout à fait exact !
JS : Sembène a écrit un poème en 1956 intitulé « Liberté ». L’avez-vous lu ?
MTM : Je ne l’ai pas lu.
JS : Samba peut citer plusieurs lignes de ce livre, mais il affirme essentielle-
ment que, comme les asiatiques ont leurs monuments et leurs poètes, et l’Eu-
rope à ses monuments et ses poètes, l’Afrique, elle aussi, a besoin de ses
monuments et de ses poètes. Elle doit labourer son propre sol et créer sa propre
culture. Et c’était le projet de Sembène. Il a reconnu que la résistance active
et le combat étaient nécessaires pour que nous puissions raconter nos histoires
et protéger ce que nous sommes. Sembène a peut-être dit cela dans son dis-
cours à l’Université d’Indiana en 1975.
SG : Intitulé « L’homme est la culture ».
JS : Cette année-là, la menace était bien plus grande que jamais, car les his-
toires axées sur la marchandise remplaçaient les récits indigènes et déplaçaient
les cultures, non seulement en Afrique mais partout, y compris dans les petites
villes américaines.
MTM : Est-il juste de dire que c’était l’appel aux armes de Sembène dans la
longue lutte pour la représentation et l’autodétermination ?
SG : Il y a un contemporain de Sembène, Cheikh Hamidou Kane , qui est
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aussi un écrivain sénégalais. Il parle métaphoriquement de la rencontre entre
l’Occident et le reste, le reste étant l’Afrique.
MTM : C’est le titre d’un livre des années 70 : L’Occident et le reste d’entre
nous [1975], de Chinweizu Ibekwe.

