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Femi Okiremuete Shaka / La politique de conversion culturelle   81

                   Au vu de  ces  développements dans  la  critique cinématogra-
          phique, nous ne pouvons pas prétendre ne pas être touchés par les questions
          soulevées dans les débats en cours. Ces questions ne sont pas seulement
          pertinentes, elles sont, en fait, impératives pour la réévaluation des pers-
          pectives critiques sur le cinéma africain, en général et le cinéma africain
          colonialiste, en particulier. En outre, je ne souscris pas à la qualification gé-
          nérale de colonialiste de l'ensemble des pratiques cinématographiques de
          l'Afrique coloniale.
                   Les études sur le discours colonialiste ont cependant montré qu'il
          ne s'agit pas d'un corps de discours unifié  . Il a plutôt été démontré que
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          le discours colonialiste est en proie à des lacunes textuelles et à des silences
          qui ont été interprétés comme la présence de contre-récits indigènes, des
          présences dont le silence est suffisamment fort pour saper l'autorité des
          textes colonialistes. En outre, l'influence angoissante de la phase psychique
          imaginaire de méconnaissance, tant dans la conception que dans la représen-
          tation de l'Autre, signifie que le discours est souvent pris dans la frontière entre
          les définitions fixes et variables de l'autre. Comme le dit Jan Mohamed,
            dans le texte imaginaire, le sujet est éclipsé par sa fixation et sa fétichisation de
            l'autre; le moi devient prisonnier de l'image projetée. Même si l'indigène est nié
            par la projection de l'image inversée, sa présence en tant qu'absence ne peut ja-
            mais être annulée. Ainsi, le désir colonialiste ne fait que l'enfermer dans le dua-
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            lisme de l’ « imaginaire » et nourrir une haine violente de l'indigène  .
                   Todorov, dans son ouvrage La conquête de l'Amérique, a dé-
         montré comment les images européennes de l'altérité interne étaient proje-
         tées sur les Indiens d'Amérique. Selon lui, différentes catégories d'altérité
         existent dans toute société :
            « L’autre par rapport à moi-même, ou bien comme un groupe social spécifique
            auquel nous n'appartenons pas. Ce groupe peut à son tour être intérieur à la so-
            ciété : les femmes pour les hommes, les riches pour les pauvres; les fous aux
            yeux des normaux ; ou bien il peut être extérieur à la société, c'est-à-dire une
            autre société, proche ou lointaine selon les cas; des êtres que tout lie à moi sur
            le plan culturel, moral, historique; ou encore des inconnus, des étrangers dont
            je ne comprends ni la langue ni les coutumes, si étrangers que, dans des cas ex-
            trêmes, je répugne à admettre qu'ils appartiennent à la même espèce que la
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            mienne  ».
                   Dans le cas de la rencontre entre européens et amérindiens, l'au-
         tre Amérindien n'était pas seulement extérieur à l'Européen, mais leur alté-
         rité était également marquée par la couleur, la langue, les coutumes, etc.
         Comme nous le découvrirons plus tard dans notre examen des modes de
         représentation dans le cinéma africain colonialiste, la même tradition de
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