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             projection d'images internes européennes de l'altérité sur les indiens d'Amé-
             rique s'est également effectuée à travers la représentation européenne des
             africains. Le phénomène de la dégénérescence sociale des européens en
             Afrique  ou la  propension à  « devenir indigène », soit en épousant une
             femme « indigène », soit en s'identifiant trop étroitement aux « indigènes »,
             est souvent projeté sur les membres des classes inférieures européennes, en
             particulier les hommes issus de la classe ouvrière.

                       J'aimerais cependant souligner que le  concept  sous-jacent de
             fixité dans le discours africain colonialiste est un produit de l'ambivalence
             de la politique de conversion culturelle dans le colonialisme. Le projet du
             colonialisme est présenté dans le discours africain colonialiste comme une
             mission civilisatrice. Pourtant, en termes de narrativisation, cette mission
             civilisatrice est subvertie par la fixation de l'indigène dans sa nativité. L'in-
             digène est perpétuellement pris dans la frontière entre le progrès et la ré-
             gression. En fait, l'accent est mis sur la nécessité de la présence perpétuelle
             du colonialiste pour éviter la régression de l'indigène dans sa nativité. Mais
             en soulignant le potentiel de régression de l'indigène, le succès de l'ensem-
             ble du projet du colonialisme est lui-même remis en question puisque ce
             succès dépend à jamais de la présence du colonialiste.

                       Dans le  discours africain colonialiste, l'indigène est à  la fois
             changeant et immuable. Ainsi, d'une part, l'indigène est changeant, mais
             cette changeabilité est liée à la présence perpétuelle du colonialiste; d'autre
             part, l'indigène est immuable en raison de la fragilité même de sa conversion
             culturelle. En  outre,  l'indigène  acculturé  est  méprisé parce  qu'il  nie les
             « bonnes » vieilles habitudes de son peuple. Mais ces mêmes « bonnes »
             vieilles habitudes sont représentées comme des indices de barbarie et d'ar-
             riération. La leçon à tirer de l'ambivalence de la politique de conversion
             culturelle dans le discours africain colonialiste est qu'il convient au colo-
             nialiste de fixer l'indigène par des pratiques discursives dans le cadre de la
             nativité. En fixant perpétuellement l'indigène dans l'imaginaire, en termes
             psychanalytiques, sa conversion culturelle virtuelle est perpétuellement re-
             portée et dépend de la présence du colonialiste. Cette fixation est donc une
             stratégie de justification du colonialisme.

             Le contexte historique du cinéma africain colonialiste

                       Les racines du cinéma africain colonialiste peuvent être retracées
             dans le discours africain colonialiste, en général et la littérature africaine
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