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aussi appelée le Levant, située au large du département du Var, face à la corniche des Maures,
lieu magique où le Massif des Maures vient brusquement plonger dans l'eau cristalline de la
Méditerranée. Au gré de mes fantaisies, à chacun des mouillages, étant aguerrie depuis
l'enfance, je nageais beaucoup, musclant mon corps qui en avait bien besoin, pour évacuer
mes tensions. J’aimais tester mes limites, jouant parfois dangereusement avec la force des
courants qui peuvent nous surprendre sans crier gare et avec lesquels il faut ruser pour ne pas
se laisser dériver. En effet, chaque année, des baigneurs imprudents, peu expérimentés, se
laissent prendre et emporter au large par des courants contraires et se noient faute d’avoir pu
rejoindre leur embarcation.
Puis je décidai de faire une croisière le long des côtes françaises pour admirer du large des
panoramas d’une sublime beauté, jusqu'à Livourne en Italie, ville toscane d'environ 160 000
habitants avec son important port de ferries touristiques en partance vers la Corse et la
Sardaigne. J’y restai quelques jours, le bateau amarré à quai. Un soir, je fus invitée à bord
d'un yacht. Sur le pont, champagne et alcools forts coulaient à flots. Alcoolisée une fois de
plus, je me laissai aller à quelques frasques et finis la soirée en passant par-dessus bord.
Coincée entre deux bateaux, je fus in extremis sauvée de la noyade par le propriétaire du
yacht qui, après avoir plongé pour me récupérer, en profita pour me coller de près sous les
yeux de sa femme, morte de jalousie.
Pour me faire pardonner ma légèreté durant cette fête qui avait mal tourné, j’allai au milieu de
l’après-midi du lendemain déposer sur la passerelle du yacht une généreuse gerbe de glaïeuls
multicolores, sans savoir que dans le langage des fleurs, les glaïeuls multicolores veulent dire
« amour fort avec un brin de folie ». La gerbe était accompagnée d'un petit mot d'excuse. Peu
après ce geste que je voulais réconciliateur, je vis de loin arriver, se dirigeant au pas de charge
droit vers mon bateau, une femme entre deux âges, une belle brune volcanique comme le sont
souvent ces femmes de la bonne société italienne. Pleine de rage et de violence, elle escalada
avec une sûreté incroyable la passerelle abaissée de mon bateau jusqu’au pont. Parvenue face
à moi qui n’en menais pas large, elle me jeta furieusement le bouquet en pleine figure, en me
traitant en italien de tous les noms d’oiseaux, puis s’en retourna…
Peu après cette scène qui m’indigna, je demandai à mon skipper de mettre le cap sur la Corse.
Ses criques aux eaux cristallines, protégées des vents du large, entourées de paysages
fabuleux qui sentent bon les pins, symbolisaient pour moi un havre de paix absolu. Le soir au
coucher, j’aimais écouter le clapotis des vagues tapotant contre la coque. Longuement, je me
laissais bercer par le doux roulis, pour sombrer dans un sommeil de velours, comme je n’en
avais plus connu depuis longtemps. Régression intra-utérine ? Rêverie reliée à un sentiment
de sécurité ? Ce bruissement rythmé avait le don de m’apaiser, de me porter à la méditation,
de m’immerger dans une tranquillité d’esprit que la réalité de ces dernières années ne m’avait
que très rarement offerte.
Je choisis les Baléares pour prochaine étape de cette échappée sans but précis. Lors de la
traversée, à plusieurs reprises, mon voilier croisa de très près d’immenses navires marchands,
à côté desquels mon bateau faisait figure de coque de noix. La hauteur de ces masses
métalliques écrasantes, que l’on voyait arriver, fonçant droit devant elles sans nous voir,
mettait en évidence le caractère très fragile et infiniment petit de mon embarcation par rapport
à l’infini de la mer. À tout moment, ces imposants navires, monstres des mers, peuvent
percuter et couler les petits bateaux qui les croisent.
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Durant la navigation de nuit, à tour de rôle, mon skipper et moi effectuions des quarts,
pendant lesquels « globe-trotteuse » solitaire, j’expérimentais toutes sortes de sensations
incroyables qui marquèrent pour toujours mon imaginaire d’aventurière. Que de fois,
émerveillée, je pus contempler la voûte céleste, ses différentes constellations, dont Jupiter,
29 Gardes alternées.
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