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sexe à satiété. Multipliant les sorties jusqu’au petit matin, nous rentrions inlassablement tous
deux ivres morts au péril de nos vies. Mais quoi que nous fissions pour oublier nos
déceptions, le mal-être profond dont nous souffrions nous collait à l’âme et à la peau. Nous
brûlions la chandelle par les deux bouts, espérant consumer nos chagrins, nous affrontant
parfois violemment au court de nos délires alcooliques.
Notre couple de façade, que tout le monde imaginait nageant dans l’opulence, attirait
involontairement l’attention sur lui car nous enchaînions les sorties sportives et festives
jusqu'à saturation : tennis, golf, boîtes de nuit. Nous pavoisions au milieu d’une clientèle de
fêtards bien plus hétéroclite qu’aujourd’hui, profitant de toutes les occasions de nous étourdir,
qui ne manquaient pas. Durant une notable escapade parisienne brève mais intense, épuisante,
émaillée d’esclandres et de dépenses inconsidérées, nous fîmes halte dans un palace de la
Place Vendôme et achetâmes un gros break américain que finalement, personne ne vint jamais
chercher…
Quelques jours avant que le divorce soit consommé, je reçus la visite surprise de mon mari,
qui débarqua dans la maison que je partageais avec mon ami Thierry. Fabien me prit dans ses
bras avec une infinie tendresse et me murmura des mots d’amour confus qui faillirent me faire
céder. Mais très vite je me repris et le repoussai. Cette dernière atteinte à ma sensibilité, alors
que je n’avais pas encore fait le deuil de la séparation, je la ressentis, vu les circonstances,
comme une dernière étreinte cruellement perverse, qui me laissa en larmes dès qu’il eut
tourné les talons.
Je ne compris jamais vraiment l’attitude décidément étrange de Fabien : je cherchai
longtemps à saisir les vraies raisons des agissements pour le moins bizarres, des choix et des
aspirations de cet homme dont j’avais fini par tomber déraisonnablement amoureuse.
Le premier juin 1983, le Tribunal de Grande instance de Bonneville prononça le divorce. Je
renonçais au versement d’une pension alimentaire, acceptant un montant compensatoire
important mais unique. Fabien s’acquitta des frais d’avocat et de tribunal. Peu après,
l’assurance me dédommagea pour l’incendie accidentel du Loup blanc, qui était devenu ma
seule et principale résidence.
Toujours en cohabitation avec Thierry, dépourvue de tout point de repère sécurisant, je
perdais pied ; ma propre confiance en moi s’effritait sérieusement et je cherchais
désespérément un refuge dans l’alcool. Il fallut pourtant mettre un terme à cette dérive
trompeuse. Rassemblant les rares certitudes qui me restaient encore, j’eus l’idée de faire le
tour du monde. Je décidai de larguer les amarres au sens propre comme au figuré.
Alizés, embruns, écume de la mer, je voulus prendre le large, laisser à jamais mon chagrin sur
le rivage loin derrière moi. Était-ce encore possible ?
Le voyage de plusieurs mois que j’allais entreprendre traduirait la volonté d’un envol qui
représentait néanmoins une défaite : j’irais au bout de ma solitude, ce monstre effrayant que je
prenais le parti d’apprivoiser, comme le lion que j’avais charmé pendant ma brève et
somptueuse période libanaise. Partir à l’aventure sans certitude, sans point d’ancrage, enfin
lâcher prise pour mieux me retrouver ! J’allais pour la dernière fois tenter de jouer le tout pour
le tout. Évacuant les sentiments qui avaient dévasté mon âme et l’avaient réduite en charpie,
j’allais m’enivrer de sensations fortes : balancements de la houle, brûlures du sel sur la peau,
vol des goélands… Je m’en remettrais à la nature, à l’infini des éléments. Je comptais sur
cette folle et incroyable évasion pour apaiser ma douleur, mes pertes, mes chagrins et mon
inconsolable échec amoureux entre l’eau, la terre, le ciel et le feu, face aux éclairs que je ne
manquerais pas de contempler.
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