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impérieux se résumait à vouloir dormir. Comme je persistais dans ma demande de repos, et
qu'il ne tirait décidément rien de moi, mon interlocuteur alla chercher Fabien avec qui il
discuta longuement sans que je comprenne quoi que ce soit à leur négociation, trop faible,
trop ailleurs, trop abattue pour ça. En réalité, le médecin n’avait pas prévu cet épisode.
Embarrassé, il ne disposait pas de chambre disponible pour moi. Qu’à cela ne tienne : sur
l’insistance de mon époux qui ne voulait surtout pas me ramener chez lui, la décision
d’évacuer un malade d’une chambre (cellule, pourrait-on dire…) fut prise ! Le psychiatre et
Fabien, guidés par un infirmier, me conduisirent aussitôt dans une petite pièce du premier
étage qui ressemblait à une geôle. Dans cette cellule pour forcenés, tout était rivé au sol ;
fenêtres et porte étaient privées de poignées. Je fus poussée de force à l’intérieur et le médecin
m’intima l'ordre de me coucher dans le lit dont les draps – ceux du malade expulsé pour me
faire place - n’avaient pas été changés.
Epuisée, commotionnée, je sentis malgré tout qu’un piège allait se refermer sur moi. J’eus
alors un réflexe de protection et allai m’accroupir sous le lavabo, recroquevillée sur moi-
même, en position fœtale. Dans le même temps, le médecin se pencha vers moi et m’enjoignit
fermement : « Maintenant Madame, il va falloir coopérer ! »
Je ne faisais pas consciemment le lien, mais retrouvais intact l’environnement psychiatrique
que j’avais amplement expérimenté dans ma jeunesse. Comme une fulgurance, je réalisai que
si je me laissais enfermer en ce lieu, dans cette pièce, je n’en sortirais probablement plus. Mue
par mon instinct de conservation, ultime résistance à ma faiblesse, je restais lucide ! Il fallait
que je m’échappe de là à tout prix et le plus vite possible. En quelques minutes je me
recentrai, me redressai… puis ce fut la course que personne n’attendait. Envahie par la force
du désespoir, je bousculai le médecin, Fabien, l’infirmier, et à moitié nue je décampai,
courant comme une marathonienne dans le couloir, jusqu’aux escaliers qui menaient à l’air
libre et que je dévalai comme une démente, et ce n’est pas peu dire ! Médusé, cloué sur place,
le chef de clinique, pris de court, hurlait : « Arrêtez-la ! Arrêtez-la !». Mais personne ne put
empêcher mon échappée. Une fois les grilles de la clinique franchies, je ralentis ma course.
Réalisant alors que personne ne m’avait poursuivie, je m’arrêtai loin de l’établissement,
hésitant quelques secondes avant de savoir où aller. Soudain, je vis la voiture de Fabien qui
m’avait rattrapée. Arrêté à ma hauteur, il m'invita fermement à monter dans son véhicule.
Dans un état de confusion totale, j’hésitai et lui demandai si c’était pour me ramener à la
maison. Après cette question, je ne me souvins plus de rien : je subis une sorte d’amnésie.
Bien plus tard, combien de temps après ma fuite éperdue de la clinique et après que mon mari
m’eut récupérée à moitié nue au bord de la chaussée… je n’en ai aucune idée, tandis que je
reprenais conscience, seule, déposée quelque part par Fabien, je mis un certain temps à
identifier l’endroit où je me trouvais. Puis dans mon désarroi, mon trouble, une sonnerie de
téléphone me fit sursauter. Je répondis machinalement à cet appel, apprenant de la voix même
de Renée-Claude, que j’eus de la peine à reconnaître, que j’étais à Genève.
« A Genève ? lui dis-je. - Oui, à Genève, au Vénitien ! » me répondit-elle. Je n’en croyais pas
mes oreilles et pourtant oui, j’étais bien à Genève dans une chambre de l’hôtel de passe où
j’officiais encore la veille de l’incendie. Fabien, ne sachant pas que faire de moi, avait roulé
en direction de la frontière qui sépare la France de la Suisse toute proche. Puis en désespoir de
cause, il m’avait conduite et déposée au Vénitien comme on dépose un sac de linge sale dont
on s’occuperait plus tard. Quelques heures après son coup de téléphone, Renée-Claude vint
me récupérer pour me transporter chez elle et me mettre à l’abri de toutes ces turpitudes.
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