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Rescapée de l’enfer
               Hormis ma voiture et mon chien, je ne possédais absolument plus rien.
               Le  lendemain  de  mon  arrivée  en  piteux  état  chez  Renée-Claude,  sur  ordre  médical,
               Mademoiselle  Jaccard,  sage-femme  et  infirmière  qui,  quelques  années  auparavant  m’avait
               loué sa petite clinique de maternité villageoise, vint me prodiguer des soins à domicile.
               Deux  inspecteurs  enquêteurs,  mandatés  par  mon  assurance-incendie  pour  la  recherche  des
               causes du sinistre, se présentèrent quelques jours plus tard à la porte de mon amie. Ces deux
               hommes  voulaient  me  questionner  au  sujet  du  drame  vécu,  avant,  pendant  et  après  la
               fournaise.  Ce  jour-là,  j’étais  encore  bien  malgré  moi  incapable  de  répondre  aux  questions
               qu’ils essayaient de me poser. Ils revinrent à plusieurs reprises, plusieurs jours de suite, avant
               de pouvoir établir un premier dialogue avec moi, et avant que je puisse regarder sereinement
               les  photos  du  sinistre  prises  par  l’un  d’eux,  photos  qu’ils  me  présentaient  pour  établir  les
               premières constatations relatives à l’origine plutôt mystérieuse de l'incendie.
               Dans  les  semaines  qui  suivirent  cette  sorte  de  convalescence,  quelques  sorties  homériques
               furent  consacrées  à  l’acquisition  de  nouveaux  vêtements.  Dans  les  boutiques  où  je  me
               fournissais d’habitude, je débarquais, accoutrée de nippes masculines bien trop petites pour
               moi, empruntées à Renée-Claude. Tout racheter en une fois excédait forcément mes moyens
               immédiats. A plusieurs reprises, je tentais de nouvelles sorties dans les magasins. Après avoir
               longuement choisi divers vêtements, à la vue de la facture, abasourdie par la somme à payer,
               je  m’effondrais  en  m’exclamant :  « C’est  beaucoup  trop  cher ; je  ne  pourrai  jamais  payer
               ça ! »  Dépitée,  angoissée,  presque  en  pleurs,  je  laissais  sur  le  comptoir  tous  les  cornets  et
               paquets et ressortais du magasin les mains vides, sous le regard furieux du vendeur. Je restai
               durant  des  jours  constamment  affublée  de  pantalons  de  velours  côtelés  bleu  nuit  laminés,
               beaucoup trop courts, et d’un pullover, lui aussi de la taille aux bras bien trop petit pour moi.
               Ces  allers  et  retours  dans  les  boutiques,  dont  je  revenais  invariablement  sans  vêtements
               corrects à me mettre sur le dos, durèrent un certain temps. Ce manège plutôt cocasse pour me
               vêtir décemment dura jusqu’à ce que je touche enfin une avance consentie par mon assurance.
               Dans ce contexte de bouleversement, il se trouva des corbeaux pour chuchoter à l’oreille des
               inspecteurs  de  l’assurance  censée  m’indemniser  que,  peut-être,  le  feu  n’était  pas  parti  par
               hasard. Une seconde enquête reporterait donc le reste de l’indemnisation à plus tard.
               La  reconstitution  de  mes  documents  administratifs  s'avéra  elle  aussi  particulièrement
               laborieuse, faite d’attentes interminables et d’agacements qui mettaient mes nerfs à vif. Aux
               guichets  où  je  me  rendais,  personne  n’arrivait  à  croire  que  je  ne  possédais  plus  rien.  On
               s’entêtait à me demander des papiers pour m’en fournir d’autres, papiers que je n’étais plus en
               mesure de présenter puisque tous partis en fumée…
               Vu  les  circonstances  particulières  et  énigmatiques  de  cette  affaire,  une  enquête  pénale  fut
               ouverte.
               Je fus contactée par un inspecteur d'Interpol, organisation internationale de police criminelle.
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               Cet agent me fixa rendez-vous au Noga Hilton  à Genève pour un dernier interrogatoire qui
               fut concis, mais très ciblé. Malgré les expertises, contre-expertises et autres démarches visant
               à établir la vérité, les causes de l’incendie restent jusqu’à ce jour non élucidées.
               Le doute n’était plus permis. Un sort impitoyable s’acharnait sur moi, qui m’empêchait de
               construire durablement quoi que ce fût. De plus en plus profonds, les lésions, les cassures, les
               chagrins  vécus  avaient  eu  raison  de  ma  vitalité,  de  la  prodigieuse  capacité  qui,  jusque-là,

               24  Noga Hilton : il s'agit d'un prestigieux hôtel genevois de la rive droite aujourd'hui repris par des Russes sous le
               nom de Kempinski.

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